Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
— 18 —

jourd'hui sur ce maître véritablement
étrange.

C'est une Adoration des Mages, peinte
sur bois, mesurant : go centimètres en
hauteur et g8 centimètres en largeur et
renfermant plus de i5o personnages !

Gérard Dov, comme la plupart des maî-
tres néerlandais, n'a, pour ainsi dire, pas
de biographie. Il travailla dans l'atelier de
Rembrandt et fit deux voyages. C'est à peu
près tout ce que l'on sait de lui. L'un de
ses voyages eut lieu en Angleterre d'où
vient le tableau dont nous parlons. Ce
fut une vie toute entière consacrée au
travail et voilà pourquoi sa biographie
est si obscure. De cette ignorance et de la
nature de ses tableaux on a tiré quelques
indications que la révélation d'aujour-
d'hui détruit absolument. On a dit qu'il ne
peignait jamais de tableaux religieux et
que ses sujets, assez insignifiants du reste,
se bornaient à la mise en scène de quel-
ques personnages, le tout dans des dimen-
sions réduites; or, XAdoration des mages
renverse ces affirmations.

Gérard Dov fréquenta l'atelier de Rem-
brandt en 1628; il y resta trois ans.
Quand il en sortit, il aurait donc eu
18 ans. Son premier voyage se fit de 165 1
à 1658 et son second de 1668 à 1673.

Décrivons d'abord sommairement cette
Adoration et sa disposition en faisant re-
marquer combien est grande l'inexpérience
de l'artiste dans la manière d'ordonnancer
un grand tableau et combien grande aussi
est absolue son ignorance historique. On
voit dans le tableau qui nous occupe, que
son grand souci est la prédominance du
type. C'est là ce qui le hante, c'est là où se
développent ses qualités maîtresses de des-
sinateur et les mystérieuses beautés d'une
palette qu'on dirait préparée par Rem-
brandt.

La scène se passe au milieu de ruines
somptueuses, à en juger par les colonnes
cannelées, les fûts brisés, les statues, les
fragments de sculptures, etc., à gauche une
ouverture cintrée indique l'entrée de
l'écurie. Les ruines sont à droite et à
gauche entremêlées de broussailles. Au
milieu, deuxième plan, au bord du cadre,
un cintre de maçonnerie; au dernier plan,
encore un cintre; des plantes et des ar-
brissaux émergent de ci de là. Tout au
fond, une petite éclaircie, le ciel d'où se
détache violemment un cintre. Tel est le
lieu où se passe l'action singulièrement
disposée et essentiellement confuse, rap-
pelant en cela quelques-unes des grandes
eaux-fortes de Rembrandt consacrées à
à la passion du Christ.

Au premier plan, vers la gauche, se
trouve la Vierge vue de trois-quarts assise
et tenant l'enfant Jésus sur ses genoux.
Elle est vêtue à l'européenne, et même à la
hollandaise. Coiffée à la chinoise comme
beaucoup de femmes des tableaux de Dov,
les cheveux sont tournés en tresse derrière
la tête. La robe bordée de fourrure se
découpe en carré sur la poitrine, une
chemisette,encore chiffonnée,indique que
la mère vient de donner le sein à l'enfant.
Un collier de grains de corail orne le
cou. La robe a de larges manches égale-
ment bordées de fourrure, un ample man-
teau recouvre le tout. L'enfant très petit
est complètement vêtu d'une robe qui ne
laisse voir que les pieds et les mains. Saint
Joseph se tient près de ce groupe faisant

place aux trois mages. Le premier est à
genoux devant l'enfant et lui présente
une coupe d'or dont il ôte le couvercle.
Derrière, debout, est le roi noir qui joint
respectueusement les mains. Ce roi est
somptueusement vêtu. Le troisième mage
se trouve être le personnage principal de
l'œuvre. Il pose et regarde le spectateur
avec aplomb, sans souci de l'action prin-
cipale. Son costume est splendide : un
turban de cachemire blanc entremêlé de
pierreries recouvre sa tête. Ce turban est
des plus ingénieusement disposé. A droite
une aigrette colorée se dresse émergeant
d'un groupe de pierres fines, celles-ci du
reste constellent le chef de ce personnage
qui a toute sa barbe blanche mais peu
longue. Un large manteau, agrafé sur le
devant par une riche applique ornée de
trois grosses perles fines, s'ouvre sur la poi-
trine. Ce manteau est une œuvre exquise,
étoffe, broderies, bijoux, on ne peut rêver
plus brillant pardessus; il s'allonge par
derrière et un page,a figure de petite fille,
en tient la traîne. Une ceinture entoure
la poitrine recouverte jusqu'aux cuisses
d'une veste découpée en lambrequins à
la romaine et garnis d'ornements en or
travaillés finement. Un bout de pantalon,
lui-même travaillé avec fioritures, laisse
échapper un flot de rubans et les pieds
sont chaussés de bottines montantes jus-
qu'au milieu du mollet d'où elles s'évasent
gracieusement montrant une bordure de
dentelles dont la blancheur se combine
avec les ornements en relief que ces botti-
nes comportent. L'homme aie bras gauche
posé sur la hanche sous le manteau; le
bras droit s'appuie sur une canne sculptée
et travaillée avec autant de soin qu'un
objet d'orfèvrerie. Cet Européen, vêtu
à l'orientale, est merveilleux dans sa
royale, superbe et un peu dédaigneuse
opulence. De l'extrême gauche, où se
trouve l'écurie, surgit la tête et une partie
d'une vache blanche et rousse dont l'œil
étonné et doux regarde le public. A droite,
près du petit page qui soutient la traîne on
voit un autre page plus âgé celui-là, déli-
cieusement vêtu ou costumé, plutôt. Puis
un chien couché, assez piteusement des-
siné. A l'avant-plan les marches d'un esca-
lier.

Au deuxième plan, jusqu'au fond qui se
perd dans un brouillard chaud d'où émer-
gent une foule de têtes, se presse un public
bigarré; têtes, costumes, armes, cuirasses,
pourpoints, casques, turbans, toques, cha-
perons. chapeaux, bonnets, manteaux,
guenilles, tout cela s'entasse et semble
descendre vers le groupe du premier plan.
Près du personnage principal, vêtu à la
turque et qui figure un des rois, se voit un
homme debout tenant une hallebarde;
il est bardé de fer, coiffé d'une toque à plu-
mes et regarde vers le haut avec un fin sou-
rire. Plus loin un figure d'homme à l'œil
louche, s'impose à l'attention par l'expres-
sion mauvaise de sa physionomie, près de
lui,d'autres types sont à signaler, puis vien-
nent les gavroches très pittoresquement
vêtus, debout sur des futs de colonnes,
sonnant de la conque, s'accrochant aux
ruines, grimpant sur les piédestaux, s'ai-
dant les uns les autres. Tout cela grouille,
crie, hurle, s'amasse, se confond et pose,
car tout ce monde pose et sait qu'il pose.
C'est pourquoi nous sommes convaincus
que ce tableau fourmille de portraits.

Nous avions d'abord cru que le splen-
dide Turc vu de face pouvait être le por-
trait du peintre, mais en présence de la date
citée plus loin nous devons nous incliner.
Toujours est-il que c'est manifestement un
portrait. Le personnage si délicieusement
railleur qui le suit, nous rappelle une cé-
lébrité hollandaise dont le nom ne nous
revient pas. Au fond, à gauche, à cheval
on voit distinctement Rembrandt jeune,
et, près de lui, un autre cavalier dont la
physionomie ne nous est pas inconnue.
Très certainement une étude approfondie
de l'œuvre amènerait de curieuses décou-
vertes. A droite, dans un cartouche fixé à
une colonne brisée, se lit la signature du
peintre G. DoU 1635. Les deux derniers
chiffres sont douteux.

Il nous est impossible de parler du colo-
ris et du dessin de cette œuvre étonnante
sans enthousiasme et sans admiration. A
première vue. telle est la magie de ce vaste
ensemble d'harmonie ambrée d'où scintil-
lent de merveilleux et d'inoubliables re-
liefs de lumière et de vie, qu'on se croit
sous le charme d'une œuvre nouvelle su-
bitement sortie de la nuit et signée Rem-
brandt. C'est lui dans sa manière mysté-
rieuse et troublante; c'est lui dans cet as-
pect de bronze, d'or et d'émeraude broyés
avec des rayons de soleil, mais à seconde
vue, la ténuité fine et coquette du dessin
déroute et à certaines plaques de lumière
frappant le premier plan, on se dit : c'est
de Gérard. Mais quel Gérard! Certes, les
chefs-d'œuvre connus du maître ont porté
très haut sa valeur et sa renommée, mais,
à partir de cette Adoration des mages,
tout change , tout grandit et une place
plus large doit être faite à l'immortalité de
ce peintre qui, après deux cents ans, se
met brutalement au niveau de son maître.

On doit donc croire que si la date de
1635 est exacte, l'Adoration des mages
aura été peinte dans l'atelier de Rembrandt
ou du moins dans les traditions du maître
que Dov venait de quitter parce qu'il avait
22 ans et que nulle part l'assimilation n'est
plus absolue. Nous supposons qu'il aura
adopté ce modus pingendi pour réussir
dans la donnée entreprise : nul moins que
Dov ne pouvait vaincre les difficultés d'une
composition aussi compliquée. Pour se
tirer d'affaire il aura adopté le système de
noyer tout son monde, sauf celui du pre-
mier plan, dans une tonalité assombrie,
favorable à l'escamotage d'un travail pé-
nible et long. Ce résultat lui en apportait
un autre, c'était de donner à son premier
plan un éclat extraordinaire : à droite et
à gauche on retrouve certains détails dont
le maître s'est quelquefois servis, notam-
ment une plante d'assez vaste envergure
dessinée avec une savante sûreté de main.
Partout du reste cette sûreté de main saute
aux yeux à tel point que si quelque chose
doit nous faire douter de la date, ce
serait cet aplomb superbe qui est, rare-
ment, le fait d'un jeune talent. D'un autre1
côté, la composition et surtout le coloris,
sont tout palpitants du génie de Rembrandt
et l'on serait tenté de certifier que le tableau
doit avoir été fait sous l'impulsion de l'il-
lustre maître lui-même bien jeune en
1635 !

C'est M. Hollender à qui est échue
l'heureuse chance d'avoir découvert ce
chef-d'œuvre en Angleterre où se trouvent,
rien que dans les collections publiques,
 
Annotationen