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— 106 —

des images. L'un, poète instinctif, avait le charme,
l'émotion, l'attendrissement; l'autre cherchait à
étonner par la secousse, les soubresauts, l'audace
du trait lyrique. Ici plus de virilité, là plus de ten-
dresse. Tous deux d'ailleurs avaient le vol hardi
autant qu'élevé ; mais l'un prenait des courbures
de cygne en montant de l'azur des ondes à l'azur
du ciel ; l'autre, après avoir eu les pieds dans notre
fange, montait dans les airs à la façon de l'aigle
dont il avait l'envergure et la puissance. Les
hommes penchaient vers Hugo, la jeunesse à l'âge
du rêve, les femmes surtout allaient à Lamartine.
Tels ils furent à leur apparition au firmament de
l'art. L'auteur des Méditations, moins artiste que
son émule, lui était supérieur comme poète, parce
qu'il y avait un roman dans sa vie qui faisait l'unité
de son œuvre, la source jaillissante de sa poésie, et
que sa mélancolie si pénétrante était particulière-
ment en harmonie avec la nature rêveuse et con-
templative d'une époque qui tournait ses regards
vers le ciel pour y chercher l'espérance et le repos,
après les orages et les drames sanglants de la Ré-
volution et de l'Empire. C'était le poète de l'âme.
Que dis-je, un poète? C'était la poésie même qui
renaissait sur des ruines avec les vieilles croyances
et la vieille monarchie restaurées, renouvelées, ra-
jeunies et s'épanouissant au soleil de la liberté.
Celui qui en était l'organe n'avait eu qu'à descendre
dans son cœur pour y trouver les sentiments de
tous. Son mérite et sa gloire, c'était de les avoir
exprimés le premier dans une langue, où la simpli-
cité le disputait à la magnificence. Et comme tout
cela coulait de source ! Si Hugo arrivait au génie
par l'effort de sa volonté, Lamartine n'avait qu'à
s'épancher et la poésie ruisselait en flots intarissa-
bles. Privilège de ce génie spontané, mûri par la
vie, elle sortait de son sein comme le fruit tombe
de l'arbre dans sa maturité, sans qu'on ait besoin
de tendre la main pour le saisir. 11 dégageait l'idéal
de la réalité vulgaire et l'on se demandait comment
il pouvait voir tant de choses là où les autres ne
voyaient rien. Cet idéalisateur des objets et des
sentiments vulgaires qui dépassait tout le monde
par sa poésie était au niveau de tout le monde par
le fond même de ses sentiments et de ses pensées.
C'est là qu'il faut chercher le secret de sa popula-
rité.

Ce que Lamartine était alors il le fut jusqu'à la
Révolution de Février : maître des cœurs, résumant
en lui les plus nobles aspirations de son époque et
poursuivant par la politique' ce qu'il avait com-
mencé par la poésie : le triomphe des sentiments
élevés, généreux, magnanimes, la paix sociale par
la liberté, l'union, l'égalité, la fraternité, ce qu'il a
appelé l'Evangile dans les lois ! Pendant trente ans
Lamartine régna sur la France par l'empire des
sentiments et des idées. Oui, ce fut un règne, car
il n'eut pas, comme son émule, à essuyer le feu
d'une école rivale pour assurer sa conquête. En
réalité, il ne fut d'aucune école. Sa muse indépen-
dante et libre pénétra sans combat dans les esprits
et dans les cœurs.

Nous aurons à parler plus loin du rôle de La-
martine sur la scène politique, de cette poésie en
action qui aboutit à faire de lui, en 1848, le vrai
roi de la France, royauté éphémère, hélas! mais
qui prouva du moins quelle fut la fascination de
ce merveilleux génie. Certes ceux qui ont vécu
alors avaient le droit de dire : ce siècle dans son
âge de plus haute splendeur intellectuelle, s'il de-
vait porter un nom d'homme, porterait celui de
Lamartine, à la fois poète, orateur, historien,
homme d'Etat.

Revenons à Hugo.

Sous la Restauration, après un second volume
d'Odes et ballades qui n'ajoute rien au premier
qu'un affaiblissement de ses croyances et de son
royalisme, et la glorification plus accentuée du
héros de l'épopée impériale, il publie, en 1827, un

drame injouable précédé d'une préface où il arbore
le drapeau du romantisme et devient le chef, non
de l'école romantique tout entière dont l'initiative
appartient à Chateaubriand et à Mme de Staël,
mais de cette branche du '^romantisme qui oppose
Shakspeare au théâtre classique de la France et
qui s'appuie sur le moyen-âge. 11 divise l'évolution
de la poésie en trois phases : Y Ode dans l'âge
primitif; Y Epopée dans l'âge antique; le Drame
dans l'âge moderne. Théorie fausse, démentie par
le poète lui-même qui cultive l'Ode plus que tous
les autres genres et qui a même la prétention d'écrire
l'épopée de l'humanité. L'ode, l'épopée, le drame
se succèdent chez tous les peuples où la poésie a
suivi les différentes phases de son développement
organique. Le novateur se déclare indépendant de
toutes les règles, ce qui ne l'empêche pas d'en
établir d'autres. Il jette des paradoxes en pâture
à ses adversaires : « Il n'y a ni règles ni modèles. »
« Tout ce qui est dans la nature est dans l'art. »
Le laid n'est plus la négation du beau : ce sont
deux termes corrélatifs et équivalents. De là cette
formule par laquelle on a traduit le nouveau prin-
cipe : « Le laid, c'est le beau. » Ce qu'il faut à
Hugo, c'est du bruit. Les disciples, échos du
maître, s'efforcent de prouver que le grand art
date du mouvement qu'ils ont imprimé à la littéra-
ture. A leurs yeux, Racine et Boileau ne sont plus
rien que des périphraseurs qui ont dévirilisé le
style par horreur du mot propre. Sans doute des
progrès de forme se réalisent dans la nouvelle
école. Mais quand le conquérant, se reposant dans
sa gloire, eut assuré son règne, qu'est-il resté des
batailles du romantisme? Quelques pièces deve-
nues classiques à leur tour, parce que les lois de la
langue y sont respectées :

Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin

Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.

Voilà les trophées de la victoire. Mais les vieilles
armes romantiques sont ébréchées. Il en faudra
d'autres pour de nouveaux combats. C'est le sort
de tout ce qui est de mode aujourd'hui pour être
oublié demain.

Après la préface de Cromwell, il fallait produire
des œuvres dignes d'être opposées aux grands œu-
vres du passé, car on avait trop beau jeu contre
l'école pseudo-classique des Baour-Lormian et
des héritiers de Delille. En 1829, année où paru-
rent les Harmonies, la plus haute expression du
génie lyrique de Lamartine, Hugo produit les
Orientales où la poésie se réduit le plus souvent à
une question de couleurs et de ciselure : pauvreté
de pensée dans la richesse éblouissante de la forme.
La même année, le poète donne Hernani. Il as-
pire aux succès retentissants de la scène. C'est la
partie la plus contestable de son talent. Il a beau
mêler le grotesque au sublime et lâcher la bride
aux expressions populacières, ses personnages ne re-
présentent qu'une personne : celle de l'auteur dont
ils ont les idées et le langage. Leurs passions dé-
clamatoires abondent en mouvements lyriques bien
plus que dramatiques, et l'on sent que ce n'est pas
ainsi que parle la nature. On connaît les noms de
ses principaux drames : après Hernani, Marion
Delorme (1), le Roi s amuse, Lucrèce Borgia, Ruy
Blas. Le vrai drame de l'histoire et de la vie n'est
point là. L'auteur y a trouvé la vogue, non la
gloire. Hugo devait être un Shakspeare, nous
constatons qu'il ne l'a pas été, et que Racine qu'il
voulait renverser de son piédestal reste debout dans
son immortalité.

En x 831, année mémorable, deux chefs-d'œuvre
apparaissent : les Feuilles dautomne et Notre
Dame de Paris. Hugo est à son apogée. Sans
doute son roman pèche par la vérité historique,
comme peinture des mœurs du XV« siècle. Là,
ainsi quç dans ses drames, trône l'antithèse : un

(1) Composée avant, mais jouée après

ange, et, à côté de l'ange, un démon. Mais en des
pages architecturales le prosateur s'élève à la
hauteur du poète. Son génie descriptif s'était
déjà manifesté dans ses romans de jeunesse :
Han d'Islande, Bug-jargal, et plus tard (182g)
le Dernier jour d'un condamné. Mais tout cela
n'est que jeux d'enfant auprès de Notre Dame
de Paris, une merveille de style, de niveau
avec cette merveille d'architecture. L'artiste, l'ar-
tiste des Orientales, devient enfin poète, pleinement
poète dans les Feuilles d'automne, et ce privilège,
— ô triomphe de la nature ! — il le doit à son cœur
paternel. Après Lamartine, Hugo introduit dans
la littérature française une note nouvelle : la note
familiale. L'auteur des Méditations et des Har-
monies avait chanté le christianisme du foyer, la
terre natale, la maison de famille, les tendresses
maternelles, et c'est par là surtout qu'il s'était em-
paré des cœurs. Hugo, jusque là trop absorbé par
son lyrisme objectif, par ses entreprises théâtrales
et ses innovations dans le mécanisme des vers,
chante avec l'accent d'une simplicité familière les
petits chérubins qui charment et égaient son foyer.
Le père parle de ses enfants avec une émotion
qui attendrit les mères. Mais, ici même, le scepti-
cisme a envahi l'esprit du poète et affaibli son
inspiration. On sent que l'image de plus en plus va
prendre la place de l'idée tombée de l'ordre divin
dans la région des nuages et des fantômes et dans
la région des sens. En 1835, paraissent les Chants
du crépuscule.

Il y a des pièces superbes encore dont l'une
contient le plus beau mouvement lyrique de la
poésie française : Napoléon II. Mais, comparé
aux Feuilles d'automne, ce recueil annonce une
sorte de décadence. Toute la critique accueille sé-
vèrement cette poésie pleine de sombres désespé-
rances où l'ode se rapetisse et s'efface devant l'élé-
gie, où l'artifice trop souvent a remplacé la nature,
où les images se heurtent en tons criards, sans que
rien se fonde dans une parfaite harmonie. Gustave
Planche, Nisard et Sainte-Beuve se plaignent. Ce
dernier, un des intimes de Victor Hugo, lui décoche
un trait sanglant : « Depuis que M. Hugo s'occupe
de théâtre, on dirait que chez lui, même dans le
lyrique, le théâtral a gagné. » Le poète avait be-
soin de renouveler son inspiration. Le doute qui a
horreur de lui-même et se débat contre son im-
puissance est souverainement poétique; mais le
doute qui cherche sa voie dans le chaos des idées,
c'est pour un poète et surtout pour un penseur un
symptôme inquiétant. M Nisard expliquait la dé-
cadence du génie de Victor Hugo, en i836, par la
prédominance exclusive de deux facultés : l'imagi-
nation et la mémoire, l'une colorant les objets, les
impressions et les faits que l'autre lui apporte. Le
poète se caractérise lui-même en ces vers :

C'est que l'amour, la tombe, et la gloire et la vie,

L'onde qui fuit, par l'onde incessamment suivie,

Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal,

Fait reluire et vibrer mon âme de cristal ;

Mon âme aux mille voix que le Dieu que j'adore

Mit au centre de tout comme un écho sonore.

« Prose et poésie, dit M. Nisard, c'est tout ce
qui reluit sur ce verre net et limpide, quoique un
peu grossissant ; c'est tout ce qui arrive à cet écho
sonore, lequel n'est pas libre de choisir ce qu'il
répète. »

Puis il montre que la description, fille de l'ima-
gination et de la mémoire, est le côté original du
génie de Hugo, génie incomplet, voguant au gré
du vent qui souffle : la raison n'étant point son
gouvernail ni le goût sa boussole. « Puissante ima-
gination, esprit faux», dit un habile rhéteur (1).
Nous allons le voir tour à tour légitimiste, napo-
léonien, orléaniste, républicain modéré, républicain
radical, chrétien, anti-chrétien, métempsycosiste et
déiste : neuf Hugo dans un, c'est beaucoup. Il cl
(1) Pellissier.
 
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