Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Overview
loading ...
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
— 122—

I

cait un maître. On le sentait. On en eut
>

peur. On se tut. Oh! je n'invente rien, les
papiers publics sont là pour en témoigner.
Ceux qui ne se turent pas, tombèrent
dessus et ce fut pitié. Il y eut de ces
maladroits en Belgique et plus encore en
France. Il y a entre les journalistes et les
artistes une communauté de vues, que
j'appellerai modernisantes, qui exclue à
priori tout ce qui n'appartient pas au
mouvement du jour, tout ce qui remplace
le génie par la-propos. Brozik fut volontai-
rement inaperçu. Son Ambassade venait
de Prague où l'auteur était l'élève de notre
Jean Swerts. A Paris où Brozik vint
s'établir, on le jalousa. On crut l'injurier
en lui jetant Delaroche à la tête. Le mal-
heur voulut qu'il fit un tableau médiocre,
Les premiers pas, on s'en prévalut pour
ne point voir la merveilleuse Fête de Ru-
bens, ce prodigieux Chanteur de ballades
et enfin ce magnifique Jean Hnss au Con-
cile de Constance. Entretemps, étaient
venus Munckacksy et Makart. Le pre-
mier, avec un très beau talent, peignit
sans vérité morale de grandes toiles sur la
vie du Christ considéré comme un simple
accusé en cours d'assises; Renan illustré
par Muncacksy. Ici il y eut un certain
succès auquel on coupa court bien vite de
peur d'engouement. Makart jeta dans la
circulation Charles-Quint et les filles nues.
On admira d'une certaine façon, à peu
près comme on rit jaune, et puis, c'était
du nu. Vous comprenez, les tous jeunes
se trémoussèrent, les mâles discutèrent, les
vieux prirent des lorgnettes, succès de
scandale. Aujourd'hui, c'est oublié. L'ar-
tiste est mort. Bon débarras. Il y en a
tant! xMais voilà Brozik un des plus forts
de ces artistes slaves à la tête de feu, à la
crinière épaisse, à la poigne nerveuse et
instruit comme tous ces hommes du Nord
dont les fées remplissent les berceaux de
science et de poésie. Le voici avec ce Jean
Huss traité non moins que les évêques,
dans un religieux respect de la vérité. On
aurait bien voulu faire semblant de ne
pas voir, mais le moyen avec une toile de
format pro patria (rien du Lndus de Puvis
de Chavannes) ! Le jury lui, a vu et bien
vu et a décerné à l'œuvre une médaille
de première classe. Honneur mérité sans
doute, bien que,pour ma part, je ne com-
prends pas la médaille d'honneur adjugée
à M. Léon Commère pour une scène de
Bacchantes inférieure et de beaucoup au
Jean Huss. Mais ne chicanons pas à ce
propos et disons que le jury a eu à peser
des considérations d'un caractère multiple
qui nous échappent.

Jean Huss est debout au milieu de la
toile dans une pose tout à fait conforme à
sa pensée. Sa toilette est sombre, sa tête
est d'un apôtre, il croit, il affirme. Il n'y
a là ni jactance, ni audace, ni mépris. S'il
se trompe, il l'ignore; s'il erre, il ne s'en
doute pas. Le groupe des évêques est
d'une grande beauté. Leurs physionomies
sont dans la situation, leurs croyances
éclatent dans leurs yeux, dans leurs ges-
tes, dans ce mouvement du corps qui se
Xévolte à l'audition d'une hérésie. Avec un

tact très fin et très juste, Brozik a saisi le
moment décisif de la discussion : Huss
est vaincu, il va être condamné. Ne croyez
pas qu'il a vulgairement posé ses évêques
en énergumènes puissants, méprisant l'hé-
rétique perdu d'avance, non, la dispute
est loyale des deux côtés, les visages sont
ceux d'hommes qui ont soif de vérités et,
à bien méditer sur l'expression qui s'en
dégage, on sent palpiter dans l'âme de ces
grands dignitaires une affectueuse com-
misération pour l'homme fort qui vient de
préparer le bois de son bûcher. Ah! mes-
sieurs les modernes, voilà, voilà les qua-
lités de ce qu'on appelle le grand art,celui-
là même que vous méprisez si fort parce
que vous le comprenez si peu. Vous aurez
beau faire et beau dire, ce n'est pas la
couleur qui fait le tableau, comme la
chair fait l'homme, là c'est la pensée, ici
c'est lame.

La disposition est celle d'un habile met-
teur en scène. Tout le premier plan, dans
sa principale lumière, est pris par les dis-
puteurs. A droite dans une sage colora-
tion de tons fondus se voient les hommes
de Huss, types étranges et curieux qui
jettent dans le drame une note assourdie
et reposante. Sigismond l'empereur est au
second plan.presqu'effacé, ce qui doit être
car son rôle dans ce mémorable concile
est celui d'un président chargé de la police
de la discussion. A gauche un véritable
éblouissement de costumes sacerdotaux
dessinés,comme tout le reste,avec l'aplomb
michel-angelesque qui forme un des plus
indiscutables appoints du talent de l'ar-
tiste. Au fond, dans une sage et harmo-
nieuse oénombre, une foule variée d'as-

A.

pect étrange dans ses atours est captivée
par la grandeur de la scène.

Voilà ce grand et beau tableau que je
prise tellement haut que dans tous mes
voyages, même chez les anciens, je ne lui
ai trouvé de supérieurs que les Raphaël,
les Véronèse,les Titien et les Rubens. J'ai
vu les grandes pages de l'école de Munich,
j'ai vu celles de l'école française qui s'éta-
lent dans les monuments et dans les mu-
sées, j'ai présent à la mémoire tout ce que
mon époque a pu donner de vaste et de
plus complet en ce genre et, je le déclare
avec une conviction profonde, le Jean
Huss de Brozik surpassetout. Je félicite le
musée dont il fera un jour la gloire comme
je félicite l'auteur dont il assure la renom-
mée.

Le tableau épisodique de De Fregger,
André Hofer recevant au château d'In-
spruck les présents de l'empereur Fran-
çois, I, que je connaissais depuis long-
temps, me semble avoir tourné au noir,
ce qui ne l'empêche pas d'être plein de
vérité. C'est là le grand charme de cet
artiste pour qui la technique signifie peu
de chose et qui met toute son âme à re-
muer celle du spectateur.

Je veux m'interrompre un instant, mon
cher ami, dussiez-vous me traiter d'incor-
rigible bavard, pour faire ici une remar-
que importante, à savoir qu'il sera bien-
tôt inutile de classer les écoles ; elles se
ressemblent toutes, à l'exception de l'école

hollandaise, laquelle, pour le moment,
porte encore son cachet particulier de
fine observation et de sage technique. Les
autres écoles sont tellement fondues les
unes dans les autres, comme manière,
qu'on ne s'y reconnaît plus. Il en est de
cela comme des costumes nationaux qui
disparaissent pour faire place au chapeau
mou et au veston. Comment en peut-il
être autrement? Ceux du Nord viennent
travailler dans le Midi et ceux du Midi
viennent dans le Nord. Brozik, Makart,
Muncaksy peignent comme à Paris ; Bou-
guereau, Puvis, Bertrand peignent comme
à Munich et à Berlin, Cela commence à
parler de cette harmonie universelle un
peu prévue par le poète Pierre Dupont
dans ses chansons bien injustement ou-
bliées, aujourd'hui, comme celles de Bé-
ranger, du reste, qui exalta le napoléo-
nisme ancien pour tomber avec le napo-
léonisme nouveau. Cette unification des
traits caractéristiques nationaux peut être
une excellente chose au point de vue uti-
litaire américain, mais c'est un immense
désastre au point de vue de l'art et de
l'idéal local. L'artiste se pénètre-t-il bien
de cette vérité que c'est dans le suicide de
son originalité, pour marcher à la suite
de tout le monde, que git la cause de la
débâcle constante et augmentante des arts
dans le monde entier? Y a-t-il un remède
à ce mal? Non ; il faut que le monument
croule. Après on verra. Les choses ont
leur destinée et il serait enfantin de vou-
loir les en faire dévier.

C'est donc pour vous dire qu'il y en a
qui veulent faire diversion. En Belgique
nous avons eu un Leys qui faisait du go-
thique allemand. Il y a maintenant un
Van Hove qui fait du gothique flamand.
En France on avait un Hamon qui faisait
du grec et un costumier adroit qui imitait
Leys. En Autriche, voilà, comme en Al-
lemagne, quelques chercheurs d'aventures
qui font de la renaissance italienne avec
un brio étincelant. En Italie il y a toute
une petite école qui s'est éprise du Direc-
toire. En Russie voilà les portraits à la
Van Dyck. Pour en revenir à la France,
voilà Baudry qui pastiche Véronèse et
Puvis qui singe Pompei. Convenez qu'au
milieu de cette débauche d'imitations il
est bien difficile de conserver le peu d'o-
riginalité qu'on a. Mais j'oubliais, il y a
Manet, Monet, Raffaelli... qu'on me ra-
mène aux carrières !

Angeli dans ses portraits, Canon dans
son étrange rétable très • corsé comme
peinture, Friedlander dans ses scènes qui
appartiennent au monde des Knaus, des
Vauthier, des Bokelman, Hynais dans ses
allégories très élégantes, Makart dans sa
Sieste à la cour de Médicis et bien d'au-
tres auxquels je ne m'attache pas spécia-
lement de peur d'assommer vos lecteurs,
ont de sérieux mérites. Cette petite école
autrichienne, puisque école il y a encore,
est en bonne voie et il me semble que si
elle n'a pas la quantité elle possède mieux.

Et maintenant, cher Directeur, laissez-
moi à ma cueillette de prunes. C'est Ie
moment. Jamais il n'y en a eu tant. Les
 
Annotationen