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146 —

plus du curieux que de l'observateur. —
Le portrait de Robert-Fleury par son fils
est d'une grande intensité de vie, la chair
est faite de sang et de lumière et l'œil de
cet intelligent vieillard porte en vous
l'émotion d'une palpitation.

(A suivre.) P. G.

EXPOSITION UNIVERSELLE
D'ANVERS.

LA BELGIQUE (Suite).

Il est probable que nos artistes n'a-
voueront pas la leçon qu'ils ont reçue, mais
qu'au fond ils en profiteront. C'est le prin-
cipal.Cette leçon n'est, après tout, quecelle
que nous avons pris la liberté grande de
leur faire depuis longtemps. Venant de
nous, elje a provoqué le dédain. Venant
de l'étranger elle doit les avoir frappés au
bon endroit.

Expliquons-nous.

Partout où le succès s'est attaché d'une
façon vraiment notoire aux tableaux ex-
posés, on rencontre ou on démêle une
pensée. Les œuvres uniquement brossées
par amour d'un système, ou, ce qui est le
plus souvent le cas pour les Belges, avec
le mépris évident de la donnée, ont été
parfaitement dédaignées. Nous allons plus
loin ; les tableaux mal peints, mais signi-
fiant quelque chose, ont encore eu leur
part de succès, celle qu'instinctivement les
foules font à ce qui est sorti du cœur ou
du cerveau. Nous avons observé ce fait
avec une persistance spéciale. Notons sans
les désigner autrement certains tableaux
nantis de toutes les gammes du jaune et
qui priment chez les artistes. Ils n'ont
attiré que ceux-ci enivrés eux-mêmes du
succès d'un cher camarade (qui ne pou-
vait leur nuire en rien) et devant lesquels
la foule a passé sans frapper des pieds ou
hocher de la tête. Ceci est véritablement
topique, et des praticiens à qui je faisais
remarquer ce manège, se prenaient les che-
veux en déplorant le mauvais goût de
l'époque, ou bien ils changeaient de place
pour se donner une contenance. Le sen-
timent sera toujours la première chose à
exiger de toute œuvre d'art ; il ne serait
pas difficile de prouver que, même dans
des sujets de nature morte, il y a un sen-
timent d'un caractère sui generis qui pal-
pite au travers de tout. Dans nos nom-
breuses visites au salon, toujours nous
avons trouvé la foule amassée devant le
Jean Huss de Brozik, la Noce de Ma-
kowsky, l'Idylle de Leigthon, Patrie de
Bertrand, la Jeunesse de Bacchus par
Bouguereau, l'Extatique de Max, pour ne
citer que quelques grandes attractions.
Nous ne dirons rien des Belges afin de
n'avoir pas à raviver des plaies. Pour être
juste il faut dire que les tableaux natio-
naux étaient déjà pour la plupart suffisam-
ment connus ; on s'est, de préférence,
adressé aux œuvres étrangères.

Nous entendons d'ici dire que le Jour-
nal des Beaux-Arts s'entête dans son ra-
bachage. Eh! oui, il s'y entête et nous
voudrions bien savoir où est celui qui, en
présence de ce fait énorme et brutal de
l'Exposition universelle d'Anvers, se lèvera
pour démentir nos paroles d'il y a trente
ans et celles d'aujourd'hui qui n'en sont
que l'écho. Ce que nous disions alors est-
ce que nos contradicteurs ne viennent pas
eux-mêmes d'en convenir? Un tableau

sans idée n'est rien! L'aveu sort aujour-
d'hui de toutes ces voix navrées, qui jadis
s'enrouaient à célébrer la couleur, la na-
ture, l'impression et à mettre au rancart
la science, l'étude et la pensée. Le soi-
disant progrès que les Belges ont réalisé
d'après eux depuis trente ans, se solde au-
jourd'hui devant l'Exposition d'Anvers,
par un recul formidable qu'il faudra plus
de trente ans pour effacer. Jadis Maxime
Du Camp criait à l'école française : « Les
barbares sont à vos portes! « Ces barbares
c'était l'école flamande. « Aujourd'hui la
situation est renversée et nous avons ac-
quis le triste droit de crier à notre tour :
« Les barbares sont entrés. »

Ce n'est pas ici le moment de rechercher
toutes (nous disons toutes à dessein) les
fautes qui ont été commises. Ce qu'il faut
faire c'est d'envisager courageusement et
sagement la position et de chercher les
moyens de réparer la défaite subie. On
peut, on doit le faire avec une confiance
d'autant plus grande que les ressources
sont nombreuses et brillantes. Il s'agit
d'imprimer aux idées des tendances qu'il
ne faut point qualifier d'idéales, ce qui
serait absurde, mais simplement d'intelli-
gentes. Il faut chercher une issue à une
situation que sont venues embrouiller un
tas de petites coteries gonflées de haine et
d'ambition ; cette issue est là devant vous :
ouvrez les portes et lancez-vous au devant
d'un public qui ne demande pas mieux
que de vous comprendre et de vous ac-
cueillir à la condition d'être intelligible et
d'abandonner, une bonne fois, toutes ces
mesquines religions de circonstances et
d'à propos dans lesquelles ont manqué de
s'abîmer les glorieuses traditions de notre
école flamande qu'aucune autre n'avait
encore surpassée.

Les rigueurs excessives du jury d'ad-
mission ont eu au moins pour résultat
de nous débarrasser d'un tas d'essayistes
qui s'étaient imaginés que peindre était la
chose la plus simple du monde, et que
moins on était expérimenté dans cette
matière plus on avait chance d'être origi-
nal et de décrocher un succès pour peu
qu'on ait sous la main un hurleur de trai-
teaux bien en gueule. Peut-être cette sévé-
rité du jury,et d'autres circonstances,ont-
elles jeté une glace sur le tempérament
surchauffé de ceux à qui nous faisons al-
lusion. Peut-être, disons-nous : on verra
plus tard. En attendant le calme (et sans
doute la raison) paraît rentré dans les
esprits.

Quelques-uns, cependant, ont trouvé
grâce aux yeux de ce sombre jury et
nous en sommes bien aise, car ils ont
un véritable talent. L'étude compara-
tive qu'ils ont pu faire aujourd'hui et
les infortunes survenenues à pas mal de
leurs confrères, achèveront de les éclairer
et d'en faire des artistes avec lesquels il
faudra compter. De ce nombre sont Hal-
kett, dont on se rappelle le tryptique qui
eût eu un succès sérieux si l'auteur avait
pu donner un peu d'âme à son sujet et
Mayné, très observateur, très exact et d'une
intelligence très fine dans l'exécution.
M. Léon Frédéric, d'apparence le plus
fort des trois, abandonne déjà, à notre
grande satisfaction, les traditions qui le rat-
tachaient à Bastien-Lepage. Il ne pourra
que y gagner,ayant en lui les éléments né-
cessaires pour se suffire à lui-même. Nous

ne saurions assez lui recommander la dis-
tinction : rien de plus facile que de voiler
l'impuissance sous des types populaires
qui n'ont pas toujours pour eux l'har-
monie et la pureté des formes ; aussi n'a-t-
on pas manqué d'user de ce procédé. M.
Léon Frédéric peut s'en passer ( i ).

Revenons à nos artistes ordinaires :
M. Meunier, dont les Cigarières deSéville
vont avoir au musée de Bruxelles de re-
doutables voisinages, nous arrive avec un
tableau frais radicalement mauvais : Port
d'Anvers (débarquement d'un steamer).
Triste débarquement sans le moindre épi-
sode qui en relève la banalité. Passons !
La remonte et le creuset brisé ont, nous
le reconnaissons volontiers, de bonnes in-
tentions, mais c'est d'une désolante insi-
gnifiance. La peinture réduite à n'être que
le rappel d'actes vulgaires n'a guère plus
d'importance qu'un fait divers ou qu'une
enseigne. Ce qui rehausse une œuvre d'art
ce n'est pas ce qu'il y a dessus, c'est ce qu'il
y a dedans. Il faut en dire tout autant des
merveilleuses stupidités de M. Henri de
Braekeleer, dont la palette s'empâte de tons
absolument faux, car de notre vie nous
n'avons vu des cabarets, des ateliers, des
intérieurs dans cette symphonie jaunâtre,
sorte de peinturlurage qui ferait supposer
que l'artiste opère avec des lunettes à verre
d'ocre jaune sur les yeux. Quant aux su-
jets familiers à notre artiste, on sait ce que
c'est : un Baes qui se verse une goutte,
un garçonet qui souffle dans un cor, un
monsieur vu de dos et voilà! Nous n'exi-
geons pas de M. Henri de Braekeleer des
Christ en croix ou des Vénus sortant des
eaux, mais là, franchement, si son imagi-
nation pouvait un peu se déboucler, il
irait aussi loin que nul n'a jamais été,
même en conservant ses lunettes de verre
peint.

M. Dansaert nous a envoyé ses Diplo-
mates, œuvre mi-sérieuse, mi-caricatu-
rale, pleine d'un fier esprit et touchée dans
ce demi-ton cher à l'artiste et si doux à
l'œil. Les physionomies des auteurs de
cette scène sont, creusées avec une excel-
lente entente de la situation : la réserve,
la finesse, la causticité, la suffisance,
l'aplomb, toute l'artillerie de la finasserie
humaine est ici en jeu,et c'est merveille que
de voir comment tout ce monde se con-
duit sous le manteau de l'hypocrisie. Ce
que c'est que de l'art et de nous? Voilà une
œuvre désespéramment bête. Elle a été
vendue avant d'être faite, elle est cotée à
la bourse. Voici une œuvre d'élite, fine,
élégante, mais elle n'est pas cotée. Quel-
ques gaillards, pas forts du tout, mais
bedonnant, buvant sec, parlant peu et
clignant de l'œil, font la côte du jour en
visant quelque Plutus imbécile. Le tour
est fait. Ça dure tant que ça dure, puis on
recommence avec un autre. Le public or-
dinaire ne donne pas là dedans. C'est un
monde à part où se tripote le commerce
de ces choses-là. Ils s'en font voir les uns
les autres de toutes les couleurs jusqu'au
jour où la valeur côtée trouvera un ama-
teur dans la haute finance. Le plus sou-
vent, cet amateur a été vu, pris de loin et
amené lentement comme le canard incon -

(1) Nous donnerons très prochainement le discours pro-
noncé par M. G. Boulanger, membre de l'Institut, à une
distribution de récompenses. C'est la synthèse de ce que
nous disons ici depuis toujours. Nous y avons retrouvé nos
propres expressions, tant l'évidence s'impose.
 
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