Omnibus (1932)

II en decoule que le Sentiment esthetique, que nous tendons de plus en plus ä differencier,
en quelque sorte ä lai'ciser, circule, comme le sang dans le corps, dans les societes primitives,
etroitement associe aux usages, ä la religion et aux objets materiels. Que de milliers d’annees
et de miracles il a fallu pour arriver ä la notion du tableau considere en soi comme ceuvre d’art,
quil soit scene de genre ou cubiste!
On voit ä quelles erreurs on s’expose en pretendant trouver dans tels ou tels vestiges de ces
societe des objets esthetiques comme on en demanderait ä la Renaissance italienne. Singulier
appauvrissement du sujet! Arbitrairement choisis au gre d’un goüt d’ailleurs versatile, ils ne
representeraient qu’un aspect lamentablement borne de la societe dont on croirait pourtant nous
donne une haute idee. C’est de la foule des objets juridiques, religieux, economiques et meine de
ceux qui sont en apparence les plus humblement utilitaires qu’il faut extraire les caracteres
esthetiques. C’est au Musee d’ethnographie qu’il appartient de les commenter, de les suiter, de
les restituer ä leur milieu social. Evitant un pretentieux anonymat, formees sur le te-rain meme
par les specialistes et soustraites par des soins eclaires ä une destruction trop rapide, les collections
traceront ainsi des societes primitives un tableau-plus vivant, emouvant et fidele.
GEORGES HENRI RIVIERE,
Sous-directeur au Museum National d’Histoire Naturelle
(Musee d’ethnographie du Trocadero).


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