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HISTOIRE DE LA DENTELLE.
essaye de les consoler; elle parle des vanités de ce monde : « Qui le
sait mieux que moi, qui ai vécu dans les demeures des rois! » Une
grande Dentelle d’Angleterre propose la retraite dans un couvent.
L’idée sourit fort peu aux Dentelles de Flandre; elles aimeraient tout
autant être cousues pour la vie au bas d’un jupon. Mesdames les
Broderies se résignent à vivre sur les ameublements; les plus dévotes
consentent à orner les devants d’autel; celles qui se sentent trop
jeunes pour renoncer au monde et à ses vanités, se réfugieront dans
les magasins de costumes; Dentelle noire d’Angleterre se cédera à
bon compte à un chasseur comme filet pour attraper des bécasses.
Tous les Points prennent la résolution de se retirer dans leur pays,
sauf Aurillac qui craint d’être transformé en un tamis pour passer
les fromages d’Auvergne, dont l’odeur ne peut manquer d’être insup-
portable à qui s’est délecté de musc et de fleur d’oranger.
Chacun dissimulant sa rage,
Doucement plioit son bagage,
Résolu d’obéir au sort.
Tous allaient partir, lorsque
Une pauvre malheureuse
Qu’on appelle, dit-on, la Gueuse,
arrive, tout exaspérée, d’un village des environs de Paris. Elle n’est
pas d’illustre naissance, mais ses sentiments n’en sont pas moins
fiers et indépendants. Elle n’a aucun refuge, même à l’hôpital;
mais qu’on veuille bien suivre ses conseils et « foi de Chaînette! »
elle s’engage à leur rendre leur position dans le monde.
Le lendemain dès l’aube, les Points se réunissent de nouveau. Une
grande Cravate (1) fanfaronne déclame :
Il nous faut venger cet affront;
Révoltons-nous, noble assemblée!
Là-dessus, le Point d’Alençon,
Ayant bien appris sa leçon,
Fit une fort belle harangue.
(1) Les soldats cravates, ou croates, portaient autour du col une bande d’étosfe à laquelle
ils suspendaient une amulette, ou charme, qui devait les protéger contre les coups de sa-
bre. De cette superstition vint la mode des cravates.
HISTOIRE DE LA DENTELLE.
essaye de les consoler; elle parle des vanités de ce monde : « Qui le
sait mieux que moi, qui ai vécu dans les demeures des rois! » Une
grande Dentelle d’Angleterre propose la retraite dans un couvent.
L’idée sourit fort peu aux Dentelles de Flandre; elles aimeraient tout
autant être cousues pour la vie au bas d’un jupon. Mesdames les
Broderies se résignent à vivre sur les ameublements; les plus dévotes
consentent à orner les devants d’autel; celles qui se sentent trop
jeunes pour renoncer au monde et à ses vanités, se réfugieront dans
les magasins de costumes; Dentelle noire d’Angleterre se cédera à
bon compte à un chasseur comme filet pour attraper des bécasses.
Tous les Points prennent la résolution de se retirer dans leur pays,
sauf Aurillac qui craint d’être transformé en un tamis pour passer
les fromages d’Auvergne, dont l’odeur ne peut manquer d’être insup-
portable à qui s’est délecté de musc et de fleur d’oranger.
Chacun dissimulant sa rage,
Doucement plioit son bagage,
Résolu d’obéir au sort.
Tous allaient partir, lorsque
Une pauvre malheureuse
Qu’on appelle, dit-on, la Gueuse,
arrive, tout exaspérée, d’un village des environs de Paris. Elle n’est
pas d’illustre naissance, mais ses sentiments n’en sont pas moins
fiers et indépendants. Elle n’a aucun refuge, même à l’hôpital;
mais qu’on veuille bien suivre ses conseils et « foi de Chaînette! »
elle s’engage à leur rendre leur position dans le monde.
Le lendemain dès l’aube, les Points se réunissent de nouveau. Une
grande Cravate (1) fanfaronne déclame :
Il nous faut venger cet affront;
Révoltons-nous, noble assemblée!
Là-dessus, le Point d’Alençon,
Ayant bien appris sa leçon,
Fit une fort belle harangue.
(1) Les soldats cravates, ou croates, portaient autour du col une bande d’étosfe à laquelle
ils suspendaient une amulette, ou charme, qui devait les protéger contre les coups de sa-
bre. De cette superstition vint la mode des cravates.