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HISTOIRE DE LA DENTELLE.
Le point d’Espagne, clans son acception habituelle, représente
cette dentelle d’or ou d’argent, parfois brodée en couleur, si fort en
usage pendant les premières annéés du règne de Louis XIV.
Dominique de Sera, dans son Livre de Lingerie (1584), affirme
que la plupart de ses modèles pour point coupé et passement furent
recueillis par lui, pendant ses voyages en Espagne; et ce qui corro-
bore cette assertion, c’est que dans le compte de garde-robe de la
reine Élisabeth pour 1562, on trouve déjà 16 aunes de dentelle d’Es-
pagne en soie noire, du prix de 5 shellings.
Les premiers livres de modèles donnent des dessins pour les den-
telles d’or et d’argent (1), fabrication à laquelle se livraient principa-
lement les Juifs (2), ce qui du reste existe encore aujourd’hui presque
partout en Europe. Après l’expulsion des Juifs, vers 1492, on voit
les rois d’Espagne faire mainte ordonnance prohibitive contre l’im-
portation des dentelles d’or de Lucques et de Florence, sauf celles
qui seraient nécessaires aux besoins des églises, ce qui prouverait
que ces riches ornements avaient quitté l’Espagne avec la race per-
sécutée. A cette époque toutefois on y faisait de la dentelle de sil,
car on conserve dans la cathédrale de Grenade une aube donnée à
cette église par Ferdinand et Isabelle (3).
On ne connaissait guère que par ouï-dire les richesses de ce genre
contenues dans les couvents et les églises, avant la dispersion des
monastères en 1830. A ce moment parurent d’admirables spécimens
de l’art et du travail des religieuses, non pas de cette lourde dentelle
appelée communément point d’Espagne, mais des morceaux de la
plus rare finesse (PI. VI, fig. du haut), si délicats, si exquis, qu’ils
n’ont pu être que l’œuvre de celles pour qui le « temps n’est point
de l’argent » et dont la dévotion à l’Église et à leurs saints bien-
aimés faisait de ce travail une œuvre d’amour. Nous avons reçu de
Rome des reproductions de quelques curieux restes d’ancien travail
des couvents d’Espagne; ce sont des dessins sur parchemin, avec
la dentelle inachevée. On les a trouvés au couvent du Jesu Bambino;
(1) Livre nouveau de patrons et Fleurs des patrons, tous deux imprimés à Lyon au sei-
zième siècle.
(2) Il existait encore il y a peu d’années à Cadix une famille d’origine juive qui avait en-
tre ses mains la manufacture de dentelle d’or et d’argent.
(3) Dans une lettre adressée à l’auteur, le cardinal Wiseman affirme avoir ofsicié revêtu
de cette aube évaluée à 10,000 écus.
HISTOIRE DE LA DENTELLE.
Le point d’Espagne, clans son acception habituelle, représente
cette dentelle d’or ou d’argent, parfois brodée en couleur, si fort en
usage pendant les premières annéés du règne de Louis XIV.
Dominique de Sera, dans son Livre de Lingerie (1584), affirme
que la plupart de ses modèles pour point coupé et passement furent
recueillis par lui, pendant ses voyages en Espagne; et ce qui corro-
bore cette assertion, c’est que dans le compte de garde-robe de la
reine Élisabeth pour 1562, on trouve déjà 16 aunes de dentelle d’Es-
pagne en soie noire, du prix de 5 shellings.
Les premiers livres de modèles donnent des dessins pour les den-
telles d’or et d’argent (1), fabrication à laquelle se livraient principa-
lement les Juifs (2), ce qui du reste existe encore aujourd’hui presque
partout en Europe. Après l’expulsion des Juifs, vers 1492, on voit
les rois d’Espagne faire mainte ordonnance prohibitive contre l’im-
portation des dentelles d’or de Lucques et de Florence, sauf celles
qui seraient nécessaires aux besoins des églises, ce qui prouverait
que ces riches ornements avaient quitté l’Espagne avec la race per-
sécutée. A cette époque toutefois on y faisait de la dentelle de sil,
car on conserve dans la cathédrale de Grenade une aube donnée à
cette église par Ferdinand et Isabelle (3).
On ne connaissait guère que par ouï-dire les richesses de ce genre
contenues dans les couvents et les églises, avant la dispersion des
monastères en 1830. A ce moment parurent d’admirables spécimens
de l’art et du travail des religieuses, non pas de cette lourde dentelle
appelée communément point d’Espagne, mais des morceaux de la
plus rare finesse (PI. VI, fig. du haut), si délicats, si exquis, qu’ils
n’ont pu être que l’œuvre de celles pour qui le « temps n’est point
de l’argent » et dont la dévotion à l’Église et à leurs saints bien-
aimés faisait de ce travail une œuvre d’amour. Nous avons reçu de
Rome des reproductions de quelques curieux restes d’ancien travail
des couvents d’Espagne; ce sont des dessins sur parchemin, avec
la dentelle inachevée. On les a trouvés au couvent du Jesu Bambino;
(1) Livre nouveau de patrons et Fleurs des patrons, tous deux imprimés à Lyon au sei-
zième siècle.
(2) Il existait encore il y a peu d’années à Cadix une famille d’origine juive qui avait en-
tre ses mains la manufacture de dentelle d’or et d’argent.
(3) Dans une lettre adressée à l’auteur, le cardinal Wiseman affirme avoir ofsicié revêtu
de cette aube évaluée à 10,000 écus.