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NOTICES ET BULLETINS
Sir John Pentland Mahaffy.
La* mort de cet helléuiste éminent ne met pas en
deui! ceux-là seuls qui se sont donnés à l'étude de
l'Egypte gréco-romaine; mais c'est eux qu'elle touche
le plus particulièrement. Mahaffy aimait à se repré-
senter comme un «pionnier» : il fut, en effet, un des
initiateurs les plus ardents et les plus sagaces sur ce
domaine, auquel notre Revue est en partie consacrée;
elle lui doit de s'associer aux hommages qui ont déjà
été rendus à son œuvre et à sa personne.
Il était né — septième enfant de sa famille — à
Vevey, le 18 février 1839. Ses premières années, jus-
qu'à dix ans, s'écoulèrent à Bad-Kissingen ; de là, en
partie du moins, sa sûre connaissance de l'allemand.
Il parlait, d'ailleurs, également bien le français, au
point de pouvoir donner des conférences en notre lan-
gue. L'Université de Dublin se souvient encore de ses
brillants succès scolaires et de ses victoires au cricket :
car Mahaffy n'avait rien de l'érudit confiné à l'ombre
des bibliothèques : c'était un véritable Anglais, aussi
épris de sport que d'humanités; sa haute taille et sa
grande allure lui donnaient plus l'aspect d'un country-
gentleman que d'un professeur; et l'on nous dit que
ses camarades d'étude l'avaient surnommé « le général » ;
c'était pourtant un vrai savant, d'une large culture
européenne, et qui s'est montré en même temps ca-
pable de se plier aux méthodes les plus sévères de la
philologie classique.
11 n'avait pas débuté dans les études d'antiquité.
Après avoir obtenu sa fellowship eu 1864, il avait été
chargé d'un enseignement philosophique; et ses pre-
miers travaux ont été pour faire mieux connaître la
doctrine de Kant en Angleterre1. Nommé, eu 1871,
professeur d'histoire ancienne à Dublin, il occupa cette
chaire pendant vingt-huit ans, avec quelle maîtrise,
ses Prolegemena to Ancient History en font foi, ainsi
que tant d'autres ouvrages si justement célèbres2.
1. Kant's critical l'hilosophy for English Readers, by
J. I'. Mahaffy, D. D., and J. H. Bernard, B. D. 2 vol. in-8\
2, Voici les principaux d'entre eux : A History of classical
Greek Literature, 2 vol., Londres, Macmillan, 2" éd., 1889;
— The Greek World under the Roman Way, ibid., 1890; —
The silver âge of the Greek World, ibid., 1906 (est comme
une nouvelle édition du précédent); — Problems in the
Greek History, ibid., 1892; — Greek Life and Thought from
the âge of Alexander to the Roman Conguest, ibid., 1896;
— the progress of Hellenism in Alexander's Empire,
ibid., 19015; — Social Life in Greece from Homer to Me-
nander, ibid., 1907; — Rambles and sludies in Greece,
ibid., 1892; — Euripide* (dans la série des Classical Wri-
ters); — Euripides, Hippolytus. édité en collaboration avec
J. B. Biry, 1883, etc....
Mais ce n'est pas par ces écrits que j. P. Mahaffy
nous appartient : pour les lecteurs de la Revue égypto-
logique, il restera avant tout le second inventeur des pa-
pyrus de Gourob. Le premier fut M. Flinders Pétrie : on
sait comment l'habile archéologue dirigea, au Fayoum,
des fouilles qui firent époque dans l'histoire de la Papy-
rologie, et mit au jour une quantité de ces cartonnages
de momies, qui sont pour nous une des mines les plus
abondantes de papyrus. Or, c'est une tâche délicate que
d'extraire de ces cartonnages les documents, le plus
souvent déchirés, qui les composent, d'en rapprocher
les débris, d'en déchiffrer le texte, et, pour peu qu'on
ait l'expérience de ce travail, on trouvera légitime
d'attribuer une part dans le mérite de la découverte à
celui qui sut transformer ces sarcophages muets en une
multitude de paperasses éloquentes. Quand l'illustre
professeur Sayce eut appelé sur les trouvailles du pro-
fesseur Pétrie l'attention de Mahaffy, celui-ci se mit
à l'œuvre avec une ardeur juvénile, et, si l'on réfléchit
qu'au moment où il entreprit l'édition de ces docu-
ments, les cursives de la première époque ptolémaïque
étaient inconnues, on concevra ce qu'il fallut de science,
de patience et de divination pour établir le texte de ces
précieuses archives. Mahaffy avait une juste cons-
cience de ce que valait cet effort, et ce maître, si cour-
tois, si disposé, — nous le savons personnellement, —
à aider ses collègues moins expérimentés, sut, au be-
soin, répoudre avec une verve triomphante aux cri-
tiques intempestives.
Plusieurs d'entre nous peuvent se rappeler l'émotion
qui régna en France dans les milieux lettrés quand pa-
rurent les deux premiers volumes que l'Académie d'Ir-
lande consacra aux Papyrus Pétrie. Ce furent d'abord,
comme il était naturel, les papyrus littéraires, celui de
l'Antiope, celui du Phédon, celui du Lâches, qui sé-
duisirent les philologues et les humanistes. Edouard
Tournier, à l'École des Hautes Études, délaissa le sujet
qu'il traitait pour étudier les leçons nouvelles du pa-
pyrus du Phédon; avec une belle sincérité, il sut
mettre en valeur l'importance de cette trouvaille, môme
sur les points où elle semblait infirmer quelques-unes
de ses doctrines propres, et la petite édition classique
du regretté Paul Couvreur, alors sou élève, fut sans
doute la première à tenir compte des variantes nou-
velles. Depuis, nous avons vu combien les papyrus ont
obligé les éditeurs à modifier leur attitude à l'égard
des textes ancieus1 : Mahaffy avait prévu cette révo-
lution et ouvert la voie.
1. H. I. Bkll a signalé ici même (Revue égyptologique,
n. s., 1, p. 101) un article de Kenyon sur cette question. Nous
signalons à notre tour, dans le tome XXXIX du Journal of
Hellcnic Studies, le travail très fouillé de B. P. Grenfell,
NOTICES ET BULLETINS
Sir John Pentland Mahaffy.
La* mort de cet helléuiste éminent ne met pas en
deui! ceux-là seuls qui se sont donnés à l'étude de
l'Egypte gréco-romaine; mais c'est eux qu'elle touche
le plus particulièrement. Mahaffy aimait à se repré-
senter comme un «pionnier» : il fut, en effet, un des
initiateurs les plus ardents et les plus sagaces sur ce
domaine, auquel notre Revue est en partie consacrée;
elle lui doit de s'associer aux hommages qui ont déjà
été rendus à son œuvre et à sa personne.
Il était né — septième enfant de sa famille — à
Vevey, le 18 février 1839. Ses premières années, jus-
qu'à dix ans, s'écoulèrent à Bad-Kissingen ; de là, en
partie du moins, sa sûre connaissance de l'allemand.
Il parlait, d'ailleurs, également bien le français, au
point de pouvoir donner des conférences en notre lan-
gue. L'Université de Dublin se souvient encore de ses
brillants succès scolaires et de ses victoires au cricket :
car Mahaffy n'avait rien de l'érudit confiné à l'ombre
des bibliothèques : c'était un véritable Anglais, aussi
épris de sport que d'humanités; sa haute taille et sa
grande allure lui donnaient plus l'aspect d'un country-
gentleman que d'un professeur; et l'on nous dit que
ses camarades d'étude l'avaient surnommé « le général » ;
c'était pourtant un vrai savant, d'une large culture
européenne, et qui s'est montré en même temps ca-
pable de se plier aux méthodes les plus sévères de la
philologie classique.
11 n'avait pas débuté dans les études d'antiquité.
Après avoir obtenu sa fellowship eu 1864, il avait été
chargé d'un enseignement philosophique; et ses pre-
miers travaux ont été pour faire mieux connaître la
doctrine de Kant en Angleterre1. Nommé, eu 1871,
professeur d'histoire ancienne à Dublin, il occupa cette
chaire pendant vingt-huit ans, avec quelle maîtrise,
ses Prolegemena to Ancient History en font foi, ainsi
que tant d'autres ouvrages si justement célèbres2.
1. Kant's critical l'hilosophy for English Readers, by
J. I'. Mahaffy, D. D., and J. H. Bernard, B. D. 2 vol. in-8\
2, Voici les principaux d'entre eux : A History of classical
Greek Literature, 2 vol., Londres, Macmillan, 2" éd., 1889;
— The Greek World under the Roman Way, ibid., 1890; —
The silver âge of the Greek World, ibid., 1906 (est comme
une nouvelle édition du précédent); — Problems in the
Greek History, ibid., 1892; — Greek Life and Thought from
the âge of Alexander to the Roman Conguest, ibid., 1896;
— the progress of Hellenism in Alexander's Empire,
ibid., 19015; — Social Life in Greece from Homer to Me-
nander, ibid., 1907; — Rambles and sludies in Greece,
ibid., 1892; — Euripide* (dans la série des Classical Wri-
ters); — Euripides, Hippolytus. édité en collaboration avec
J. B. Biry, 1883, etc....
Mais ce n'est pas par ces écrits que j. P. Mahaffy
nous appartient : pour les lecteurs de la Revue égypto-
logique, il restera avant tout le second inventeur des pa-
pyrus de Gourob. Le premier fut M. Flinders Pétrie : on
sait comment l'habile archéologue dirigea, au Fayoum,
des fouilles qui firent époque dans l'histoire de la Papy-
rologie, et mit au jour une quantité de ces cartonnages
de momies, qui sont pour nous une des mines les plus
abondantes de papyrus. Or, c'est une tâche délicate que
d'extraire de ces cartonnages les documents, le plus
souvent déchirés, qui les composent, d'en rapprocher
les débris, d'en déchiffrer le texte, et, pour peu qu'on
ait l'expérience de ce travail, on trouvera légitime
d'attribuer une part dans le mérite de la découverte à
celui qui sut transformer ces sarcophages muets en une
multitude de paperasses éloquentes. Quand l'illustre
professeur Sayce eut appelé sur les trouvailles du pro-
fesseur Pétrie l'attention de Mahaffy, celui-ci se mit
à l'œuvre avec une ardeur juvénile, et, si l'on réfléchit
qu'au moment où il entreprit l'édition de ces docu-
ments, les cursives de la première époque ptolémaïque
étaient inconnues, on concevra ce qu'il fallut de science,
de patience et de divination pour établir le texte de ces
précieuses archives. Mahaffy avait une juste cons-
cience de ce que valait cet effort, et ce maître, si cour-
tois, si disposé, — nous le savons personnellement, —
à aider ses collègues moins expérimentés, sut, au be-
soin, répoudre avec une verve triomphante aux cri-
tiques intempestives.
Plusieurs d'entre nous peuvent se rappeler l'émotion
qui régna en France dans les milieux lettrés quand pa-
rurent les deux premiers volumes que l'Académie d'Ir-
lande consacra aux Papyrus Pétrie. Ce furent d'abord,
comme il était naturel, les papyrus littéraires, celui de
l'Antiope, celui du Phédon, celui du Lâches, qui sé-
duisirent les philologues et les humanistes. Edouard
Tournier, à l'École des Hautes Études, délaissa le sujet
qu'il traitait pour étudier les leçons nouvelles du pa-
pyrus du Phédon; avec une belle sincérité, il sut
mettre en valeur l'importance de cette trouvaille, môme
sur les points où elle semblait infirmer quelques-unes
de ses doctrines propres, et la petite édition classique
du regretté Paul Couvreur, alors sou élève, fut sans
doute la première à tenir compte des variantes nou-
velles. Depuis, nous avons vu combien les papyrus ont
obligé les éditeurs à modifier leur attitude à l'égard
des textes ancieus1 : Mahaffy avait prévu cette révo-
lution et ouvert la voie.
1. H. I. Bkll a signalé ici même (Revue égyptologique,
n. s., 1, p. 101) un article de Kenyon sur cette question. Nous
signalons à notre tour, dans le tome XXXIX du Journal of
Hellcnic Studies, le travail très fouillé de B. P. Grenfell,