238
BIOGRAPHIE NATIONALE.
la prise de Constantinople eut placé, en 1204, un comte flamand, Baudouin IX, sur
le trône impérial de Byzance.
De la fusion de ces deux principes sortirent, d’une part, cette fantaisie souvent
bizarre et grotesque ou terrible qui se fait jour à la fois dans les écrits de nos vieux
poètes, tels que les rimeurs du roman du Renard et les trouvères auxquels nous
devons nos épopées chevaleresques, nos fabliaux et nos dictiez, et dans les pro-
ductions des enlumineurs dont le pinceau illustra nos anciens manuscrits; d’une
autre part, cette rigidité dans le dessin et dans la disposition des figures et cette
grasse exécution à la gouache qu’affectionnait le pinceau de la plupart de nos vieux
miniaturistes. Quant à la composition des scènes sacrées ou profanes, elle était
soumise à un système de symétrie qui avait été introduit dans les habitudes des
artistes par l’ordonnance des peintures murales, ou les églises faisaient se répondre
les uns aux autres les motifs principaux de l’Ancien et du Nouveau Testament,
et où les palais impériaux, comme nous l’apprend un moine de la période carolin-
gienne, montraient la prophétie des événements contemporains dans des faits cor-
respondants de l’histoire ancienne *.
Tel était le caractère de l’art belge au moment où le nom des Van Eyck se révéla
au monde.
Différents foyers artistiques rayonnaient, à cette époque, dans les contrées situées
entre le Rhin et la mer du Nord. Cologne avait son école tout idéaliste, dont maître
Wilhelm était le chef et qui, cherchant à réaliser dans la forme jusqu’aux esprits
purs, jusqu’aux personnifications mystiques du catholicisme, ne traduisait, à vrai
dire, que des rêves, que des images transparentes comme on les entrevoit dans les
visions. Une école infiniment plus réaliste florissait à Tournai, dont les sculpteurs,
comme nous l’avons vu 1 2, étudiaient franchement la forme sur la nature même et la
traduisaient dans la pierre avec cette naïveté qui, insoucieuse de ce que renferme
parfois de conventionnel l’art le plus barbare, arrive souvent par cela même au vrai
et au beau. Liège était fort probablement aussi un centre d’activité pour les minia-
turistes, s'il nous est permis d’en juger par les nombreux orfèvres et ciseleurs qui
travaillaient sans relâche pour les opulents chapitres de cette cité, et par les habiles
fondeurs qui peuplaient la ville de Dînant et dont les ouvrages sont encore si
estimés.
En effet, c’est dans la principauté de Liège que la tradition place le berceau des
frères Van Eyck, et c’est dans cette grande cité elle-même que le plus jeune des deux
peintres nous apparaît pour la première fois occupé de la pratique de son art.
Sur la rive gauche de la Meuse, entre Maestricht et Ruremonde, le voyageur
aperçoit une humble petite ville, tristement penchée au bord du fleuve et pleine de
calme et de silence : elle porte le nom de Maeseyck. C’est là que, selon le témoignage
de Van Mander, Hubert Van Eyck vit le jour en 1366, et que Jean, dont il était
l’aîné, naquit quelques années plus tard. Cette dernière naissance Sandrart la fixe
positivement à l’an 1370; mais nous ne savons sur quelles données il appuie cette
1 Ermold. Nigell. Carmin. IV, v. 179-282.
2 V ci-dessus, p. 201
BIOGRAPHIE NATIONALE.
la prise de Constantinople eut placé, en 1204, un comte flamand, Baudouin IX, sur
le trône impérial de Byzance.
De la fusion de ces deux principes sortirent, d’une part, cette fantaisie souvent
bizarre et grotesque ou terrible qui se fait jour à la fois dans les écrits de nos vieux
poètes, tels que les rimeurs du roman du Renard et les trouvères auxquels nous
devons nos épopées chevaleresques, nos fabliaux et nos dictiez, et dans les pro-
ductions des enlumineurs dont le pinceau illustra nos anciens manuscrits; d’une
autre part, cette rigidité dans le dessin et dans la disposition des figures et cette
grasse exécution à la gouache qu’affectionnait le pinceau de la plupart de nos vieux
miniaturistes. Quant à la composition des scènes sacrées ou profanes, elle était
soumise à un système de symétrie qui avait été introduit dans les habitudes des
artistes par l’ordonnance des peintures murales, ou les églises faisaient se répondre
les uns aux autres les motifs principaux de l’Ancien et du Nouveau Testament,
et où les palais impériaux, comme nous l’apprend un moine de la période carolin-
gienne, montraient la prophétie des événements contemporains dans des faits cor-
respondants de l’histoire ancienne *.
Tel était le caractère de l’art belge au moment où le nom des Van Eyck se révéla
au monde.
Différents foyers artistiques rayonnaient, à cette époque, dans les contrées situées
entre le Rhin et la mer du Nord. Cologne avait son école tout idéaliste, dont maître
Wilhelm était le chef et qui, cherchant à réaliser dans la forme jusqu’aux esprits
purs, jusqu’aux personnifications mystiques du catholicisme, ne traduisait, à vrai
dire, que des rêves, que des images transparentes comme on les entrevoit dans les
visions. Une école infiniment plus réaliste florissait à Tournai, dont les sculpteurs,
comme nous l’avons vu 1 2, étudiaient franchement la forme sur la nature même et la
traduisaient dans la pierre avec cette naïveté qui, insoucieuse de ce que renferme
parfois de conventionnel l’art le plus barbare, arrive souvent par cela même au vrai
et au beau. Liège était fort probablement aussi un centre d’activité pour les minia-
turistes, s'il nous est permis d’en juger par les nombreux orfèvres et ciseleurs qui
travaillaient sans relâche pour les opulents chapitres de cette cité, et par les habiles
fondeurs qui peuplaient la ville de Dînant et dont les ouvrages sont encore si
estimés.
En effet, c’est dans la principauté de Liège que la tradition place le berceau des
frères Van Eyck, et c’est dans cette grande cité elle-même que le plus jeune des deux
peintres nous apparaît pour la première fois occupé de la pratique de son art.
Sur la rive gauche de la Meuse, entre Maestricht et Ruremonde, le voyageur
aperçoit une humble petite ville, tristement penchée au bord du fleuve et pleine de
calme et de silence : elle porte le nom de Maeseyck. C’est là que, selon le témoignage
de Van Mander, Hubert Van Eyck vit le jour en 1366, et que Jean, dont il était
l’aîné, naquit quelques années plus tard. Cette dernière naissance Sandrart la fixe
positivement à l’an 1370; mais nous ne savons sur quelles données il appuie cette
1 Ermold. Nigell. Carmin. IV, v. 179-282.
2 V ci-dessus, p. 201