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La chronique des arts et de la curiosité — 1906

DOI issue:
Nr. 18 (5 Mai)
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https://doi.org/10.11588/diglit.19761#0157
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ET DE LA CURIOSITE 147

temps. La Venise agonisante de Barrés, la Venise
carnavalesque et posthume de Régnier, la Venise
insatiable d'amour de M'"° do Noailles, la Venise
de Léon Daudet, de Jacques Vontade, exercent sur
toute imagination bien née une fascination unique.
Et, maintenant, de cette contemplation un peu pas-
sive de Venise, Ruskin va nous faire sortir.

Il nous permettra bien do glisser parfois en
gondole. Il a avoué lui-même dans Prœlerita
la molle volupté qu'il y avait trouvée. Mais il
va falloir, les Pierres de Venise à la main, abor-
der à toutes les églises et à ces demeures, à demi
dressées, délicieuses et roses, hors des eaux où
elles plongent, étudier chaque chapiteau, de-
mander une échelle pour distinguer un relief dont
Ruskin nous signale l'importance et que, sans lui,
nous n'aurions jamais aperçu ; ne pas se contenter
de regarder Venise comme le décor qui inspira jadis
à Daniel Halévy des pages exquises et dédai-
gneuses, mais comme une cité qui fut vivante, qui
fut, entre toutes les cités vivantes, noble et sage,
et dont la noblesse, la sagesse et la vie sont en-
core visibles et admirables dans ces pierres qu'elles
ordonnèrent selon leurs lois. Sorte de musée intact
et complet de l'architecture domestique pendant le
Moyen âge et la Renaissance — le sublime Moyen
âge et la f atale Renaissance, — que d'enseignements
inépuisables et merveilleux Venise va nous donner,
maintenant que Ruskin va faire parler ses pierres,
et, grâce à la superbe traduction de Mmc Crémieux,
va s'adresser â nous dans notre langue, comme un
de ces apôtres doués de glossolalic qui sont figurés
au baptistère de Saint-Marc ! Il on est de la beauté
comme du bonheur (dont un poêle a, d'ailleurs,
dit qu'elle était la promesse), et elle s'évanouit,
comme lui, en un ennui morne si on le poursuit
uniquement. Nous aurions pu nous fatiguer de la
langueur de Venise et répéter froidement, à sa
louange, les litanies du génie. Mais maintenant, au
retour de nos pèlerinages ruskiniens, actifs c. la-
borieux ceux-là, où nous chercherons la vérité et
nonla jouissance, la jouissance sera plus profonde,
et Venise nous versera plus d'enchantements d'avoir
été pour nous un lieu d'études et de nous donner
la volupté par surcroît. Pèlerins passionnés des
pierres qui furent d'abord des pensées et qui les
redeviennent pour nous, quelles admirables prédi-
cations au bord des eaux nous écoutons le Maître
nous dire ! Aux couleurs des ciels de Venise, des
mosaïques de Saint-Marc, s'ajouteront des cou-
leurs nouvelles, plus prestigieuses encore parce
que ce sont les nuances mêmes d'une imagination
merveilleuse, les couleurs de Ruskin, que sa prose,
comme une nef enchantée, porte à travers le monde !

Los belles photographies, à la fois vivantes et
artistiques, de M. Alinari, nous consolent un peu
que l'éditeur ou loi héritiers de Ruskin n'aient pas
autorise la reproduction des admirables gravures
du maître. On peut, en voyant ces planches de
M. Alinari, répondre que la photographie est bien
un art à la question posée naguère par M. de la
Sizeranne. La belle conférence que ce dernier pro-
nonça au Palais dos Doges sur Ruskin et qui
retentit si profondément en Franco et en Angle-
terre, sert do préface à ce livre. Dans ces Pierres
de Venise, nécessairement écourtées, mais encore
si pleines de beautés, on trouvera des pages sur
l'arrivée à Venise, sur Torcello, sur Saint-Marc,
qui dans l'anthologie de Venise pourront sans
crainte supporter le voisinage des plus belles pages |

du livre de Barrés. Ruskin achèvera de faire en
France pour Venise ce qu'avaient commencé
Turner, Rarrès, M" de Noailles, Henri de Ré-
gnier et Whisller. Une seconde édition, au mo-
ment 011 nous écrivons, est déjà sous presse. La
traduction de M"" Crémieux, sorte d'abrégé de la
« Travellers Edition », étant conçue surtout comme
un guide de Venise, nous réclamons pour la troi-
sième un appendice qui contienne, si cela est
possible, l'extrait sur les œuvres de Vittore
Garpaccio. (Au moins faudra-t-il introduire dans
l'Index vénitien la mention que Ruskin a ajoutée
dans la révision de 18/7. Sans cela on a simple-
ment sur San Giorgio dei Schiavoni l'indication qui
figure dans la traduction de M"! Crémieux :
« passe pour contenir une belle série de Car-
paccio », ce qui est par trop stupéfiant pour
qui sait la prétention de Ruskin d'avoir découvert
Garpaccio). D'autres pages du livre ont de telles pa-
rentés avec dos psges d'autres livres de Ruskin,
certaines œuvres vénitiennes commentées ont joué
un tel rôle dans l'évolution du goût de Ruskin,
tiennent une telle place dans son œuvre — la place
qu'elles ont tenue dans sa vie et lui ont ins-
piré dans d'autres livres de si admirables dévelop-
pements, qu'on regrette que la nécessité de se res-
treindre n'ait pas permis à M"" Crémieux tout un
appareil de références. Mais elle avait à condenser
tant de choses en un volume que c'est déjà miracle
qu'elle ait pu roussir à ce point. L'éclatant succès
de sa traduction est, comme on dit, d'un pronostic
extrêmement favorable, au point de vue de l'in-
fluence que ces beautés de Grande-Bretagne, aper-
çues jusqu'ici à distance et comme dans la brume
par ceux qui ne pouvaient lire qu'imparfaitement
l'original, mais amenées pour eux par cette tra-
duction en belle et pleine lumière, ne manqueront
pas d'exercer sur la sensibilité française.

Marcel Proust.

La maison F. Bruckmann, de Munich, qui a
édité les catalogues, excellemment rédigés et illus-
trés, delà belle Exposition centennalo de l'art alle-
mand actuellement ouverte à Berlin et à laquelle
notre Gazette consacre ce mois-ci une importante
étude, vient de publier pour les visiteurs de cette
Exposition un petit guide très pratique et très ins-
tructif : Fùhrer durch die deutsche Jahr-
hundert Austellung JJerlin 1906, rédigé par
notre émioent collaborateur M. W. von Seidlitz
(in-16, 107 p.; 1 mark). Au cours de sa promonade
de salle en salle, l'auteur donne sur les écoles,
les groupements, les artistes rencontrés, des ren-
seignements plus ou moins développés suivant
l'importance des maîtres, et toujours substantiels,
qui constituent comme une histoire résumée de la
peinture allemande au siècle dernier et font de ce
petit catalogue critique un manuel précieux, à con-
server et à consulter.

NECROLOGIE

On annonce la mprt à Auvers-sur-Oise du pein-
tre Eugène Murer, qui avait été l'ami de Mûrger,
Champfleury, Théodore de Banville et autres écri-
vains illustres. Après avoir gagné une certaine
aisance dans le commerce, Murer s'était retiré,
| comme propriétaire, à Auvers, où il consacrait ses
 
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