LE LOUP ÉCOLIER.
(PLANCHE XXIV.)
L
Les sculptures historiées du onzième siècle que re-
produit cette planche ont été dessinées dans la cathé-
drale de Fribourg en Brisgau, où elles ornent un passage
étroit qui mène du transept méridional aux bas-côtés
du chœur. Les deux bandes font face l'une à l'autre en
formant frise des deux côtés sous cette espèce de porte,
où elles tenaient sans doute un langage utile aux con-
temporains du sculpteur ; mais il est douteux que leurs
leçons se fassent entendre aux passants du dix-neuvième
siècle. Un auteur français du treizième montre que la
voix de ces pierres pouvait retentir encore aux oreilles
du peuple après deux cents ans. Mettons à protit
aujourd'hui ce document, tout postérieur qu'il est à
l'œuvre du vieux statuaire. C'est Marie de France qui
nous le donne dans son recueil de fables dont elle fait
honneur ùEsope; mais peu nous importe qu'elle pèche
par la critique sur une question relative ù la science
de l'antiquité grecque, si elle nous éclaire sur une pen-
sée du moyen âge que nous aurions peine à retrouver
sans ces vers. Je suivrai, pour le texte, le manuscrit
de notre bibliothèque nationale, qui est coté 7615 (mss.
franc., ancien fonds).
FABLE 80. —Éf tftm /OM.
Uns prestres voit jadis aprendre
Itouatetresfcre entendre.
A dist ii prestres. — A dist H leus
— C dist !i prestres, di avant.
— C dist ii leus. — Ail dont tant S,
Respont li prestres, or di par toi.
— Li leu respont ; je ne sai coi.
— Di que te semble, si espel 4.
— Respont li leus, il dist : Aignel 3
1 Perfide (félon) et astucieux.
2 Avec moi.
S Continue de la sorte.
4 Hpcllc ; en anglais spcll.
5 Roquefort, qui a publié les Poésies deAfarie de France, suit un
texte qui n'est pas toujours préféiable à celui du ms. 7615 ; mais quelques
omissions de mon manuscrit sont suppléées par son édition. Ici (t. Il, p.
34o, Sv.), l'imprimé porte : H Respunt li lox : Aignel, aignel. H
6 Roqucf. K Tel en penssé. t
7 On le voit.
8 Fortement.
9 Avant ; italien anzi.
19 J'ai corrigé ccversd'aptës Roquefort. Mon manuscrit porte: a Tout
Li prestres dist, que verté touche :
Tel ou 6 penser, tel en la bouche !
De plusors le voit l'en 7 souvent ;
Ce dont il pensent durement 8
Est parla boucheconnéu.
Ainçois9 que d'autre soitséu,
La bouche monstre le penser ;
Tout doit ele de li parler 10.
Une autre pièce du même recueii, et qui est ia
soixante-quatrième dans mon manuscrit, a été donnée
par Roquefort comme le prologue de celle que je viens
de citer. La voici, telle que je la trouve :
FABLE 6A.—CJa'/Mro/t?" éA? /o?Ry.
Par viel essemple conte-ci
Que tuit li Ions sont envielli
En cele pel ou il sont né ;
La remainent 12 tout leuraé 13.
Qui sus le leu mettroit bon mestre
Qui doctrinal a estre prestre,
Si seroit-il touz jours gris leus,
Fel et engrés 14, lais et hideus,
Nous n'avons pas à suivre aveuglément "notre guide
du treizième siècle. Il se peut que Marie de France, ou
l'auteur qu'elle traduisait en rimes françaises, ait mis
du sien dans la morale de la fable ; mais quant au fait,
il est évident qu'on l'a emprunté à un fonds populaire
où puisait aussi notre sculpteur. Cette interprétation
fondamentale une fois ressaisie par nous autres gens
du dix-neuvième siècle, le bas-relief peut à lui seul
nous dire assez complètement la vraie pensée de son
auteur. Explorons-en donc les détails un à un, au
moyen de cette lueur que nous reflète le fabuliste du
moyen âge.
Le début est incontestablement dans la leçon de
de lecture : le prêtre (ou moine) assis sur un pliant
et armé du sceptre grammatical présente au loup
doic ele du parler. "
11 On parte, ou Aien L'auteur parte...
13 Persistent, restent; augi. remain.
13 Age, vie, durée.
14Méchant,pcut-étreingrat(mauvaiscœur'.
15 C'est te pliant ou /atfti.stor:K?n (t'antique Ne (ta) tongtemps maintenu
par ta liturgie comme siège du célébrant. L'occasion se représentera bientôt
d'en parter au long.
16 La verge est ['attribut otliciet de ta Grammaire durant tout te moyen
Age dans ta représentation des arts fiAérautc. Cf. Vitraux de Bourges,
Étude XVJf (abside d'Auxerre). — Annates de phitosophie chrétienne,
t. XIX (1839), page 54 (/Torius deficiarunt). Nous nous proposons d'ait leurs
d'en publier bien d'autres exemptes dans ces A/éiauges.
(PLANCHE XXIV.)
L
Les sculptures historiées du onzième siècle que re-
produit cette planche ont été dessinées dans la cathé-
drale de Fribourg en Brisgau, où elles ornent un passage
étroit qui mène du transept méridional aux bas-côtés
du chœur. Les deux bandes font face l'une à l'autre en
formant frise des deux côtés sous cette espèce de porte,
où elles tenaient sans doute un langage utile aux con-
temporains du sculpteur ; mais il est douteux que leurs
leçons se fassent entendre aux passants du dix-neuvième
siècle. Un auteur français du treizième montre que la
voix de ces pierres pouvait retentir encore aux oreilles
du peuple après deux cents ans. Mettons à protit
aujourd'hui ce document, tout postérieur qu'il est à
l'œuvre du vieux statuaire. C'est Marie de France qui
nous le donne dans son recueil de fables dont elle fait
honneur ùEsope; mais peu nous importe qu'elle pèche
par la critique sur une question relative ù la science
de l'antiquité grecque, si elle nous éclaire sur une pen-
sée du moyen âge que nous aurions peine à retrouver
sans ces vers. Je suivrai, pour le texte, le manuscrit
de notre bibliothèque nationale, qui est coté 7615 (mss.
franc., ancien fonds).
FABLE 80. —Éf tftm /OM.
Uns prestres voit jadis aprendre
Itouatetresfcre entendre.
A dist ii prestres. — A dist H leus
— C dist !i prestres, di avant.
— C dist ii leus. — Ail dont tant S,
Respont li prestres, or di par toi.
— Li leu respont ; je ne sai coi.
— Di que te semble, si espel 4.
— Respont li leus, il dist : Aignel 3
1 Perfide (félon) et astucieux.
2 Avec moi.
S Continue de la sorte.
4 Hpcllc ; en anglais spcll.
5 Roquefort, qui a publié les Poésies deAfarie de France, suit un
texte qui n'est pas toujours préféiable à celui du ms. 7615 ; mais quelques
omissions de mon manuscrit sont suppléées par son édition. Ici (t. Il, p.
34o, Sv.), l'imprimé porte : H Respunt li lox : Aignel, aignel. H
6 Roqucf. K Tel en penssé. t
7 On le voit.
8 Fortement.
9 Avant ; italien anzi.
19 J'ai corrigé ccversd'aptës Roquefort. Mon manuscrit porte: a Tout
Li prestres dist, que verté touche :
Tel ou 6 penser, tel en la bouche !
De plusors le voit l'en 7 souvent ;
Ce dont il pensent durement 8
Est parla boucheconnéu.
Ainçois9 que d'autre soitséu,
La bouche monstre le penser ;
Tout doit ele de li parler 10.
Une autre pièce du même recueii, et qui est ia
soixante-quatrième dans mon manuscrit, a été donnée
par Roquefort comme le prologue de celle que je viens
de citer. La voici, telle que je la trouve :
FABLE 6A.—CJa'/Mro/t?" éA? /o?Ry.
Par viel essemple conte-ci
Que tuit li Ions sont envielli
En cele pel ou il sont né ;
La remainent 12 tout leuraé 13.
Qui sus le leu mettroit bon mestre
Qui doctrinal a estre prestre,
Si seroit-il touz jours gris leus,
Fel et engrés 14, lais et hideus,
Nous n'avons pas à suivre aveuglément "notre guide
du treizième siècle. Il se peut que Marie de France, ou
l'auteur qu'elle traduisait en rimes françaises, ait mis
du sien dans la morale de la fable ; mais quant au fait,
il est évident qu'on l'a emprunté à un fonds populaire
où puisait aussi notre sculpteur. Cette interprétation
fondamentale une fois ressaisie par nous autres gens
du dix-neuvième siècle, le bas-relief peut à lui seul
nous dire assez complètement la vraie pensée de son
auteur. Explorons-en donc les détails un à un, au
moyen de cette lueur que nous reflète le fabuliste du
moyen âge.
Le début est incontestablement dans la leçon de
de lecture : le prêtre (ou moine) assis sur un pliant
et armé du sceptre grammatical présente au loup
doic ele du parler. "
11 On parte, ou Aien L'auteur parte...
13 Persistent, restent; augi. remain.
13 Age, vie, durée.
14Méchant,pcut-étreingrat(mauvaiscœur'.
15 C'est te pliant ou /atfti.stor:K?n (t'antique Ne (ta) tongtemps maintenu
par ta liturgie comme siège du célébrant. L'occasion se représentera bientôt
d'en parter au long.
16 La verge est ['attribut otliciet de ta Grammaire durant tout te moyen
Age dans ta représentation des arts fiAérautc. Cf. Vitraux de Bourges,
Étude XVJf (abside d'Auxerre). — Annates de phitosophie chrétienne,
t. XIX (1839), page 54 (/Torius deficiarunt). Nous nous proposons d'ait leurs
d'en publier bien d'autres exemptes dans ces A/éiauges.