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puniques, de l’autre. Cette date est, il est vrai, peu reculée, et nous possédons un
grand nombre d’inscriptions plus anciennes; elle a pourtant ici une signification
particulière , si l’on songe que la ville phénicienne et la ville romaine sont séparées
par un intervalle de 150 ans, et correspondent à deux civilisations absolument
différentes.
L’archéologie fournirait à elle seule des indices presque suffisants pour prouver
mon assertion. L’ornementation des stèles est grecque ; on y retrouve tous les
caractères du style ionique ; on sent que l’architecture romaine n’a pas encore passé
par là. Les symboles sont aussi ceux des monnaies autonomes de Carthage : le
caducée, le palmier, le taureau, les poissons (1). Il est vrai que quelques-uns d’entre
eux se retrouvent sur les monnaies d’époque romaine, mais ils ont en général sur
ces dernières un cachet particulier qui ne permet guère la confusion; le caducée,
par exemple, figure indistinctement sur les monnaies de l’ancienne et de la nou-
velle Carthage, mais, sur les monnaies de la Carthage romaine, il a des ailes; au con-
traire, sur les monnaies autonomes, de même que sur nos inscriptions, il en est
toujours dépourvu.
L’antiquité de ces monuments ressort encore plus clairement de leur comparai-
son avec les inscriptions néo-puniques ; ces deux arts sont séparés par un abîme.
Sur les monuments qui portent des inscriptions néo-puniques, le dessin est à la
fois plus grossier et plus massif; ce n’est pas l’enfance de l’art, c’est la barbarie ;
les symboles sont plus compliqués, les personnages, tout en étant moins corrects,
ont des proportions plus considérables, et des cintres épais ont pris la place des co-
lonnes ioniennes.
La langue des inscriptions nous amène aux mêmes conclusions. Plusieurs, en
effet, portent la formule rUtnfimp D;? « le peuple de Carthage », si fréquente
sur les monnaies carthaginoises antérieures à la perte de la Sicile. Toutes, il est
vrai, n’ont pas la même antiquité, mais toutes se distinguent par le caractère pres-
que exclusivement phénicien de leur onomastique, et par l’absence de noms romains ;
or, quelque ardent que fut le patriotisme des habitants de Carthage, on ne peut pas
oublier que c’est à une colonie romaine qu’elle a dû son prompt relèvement. L’élé-
ment romain a dû laisser des traces dans la nouvelle société carthaginoise ; et il en
a laissé, en effet, sur les inscriptions néo-puniques; les noms romains sont assez
nombreux; on trouve même des inscriptions entières bilingues, latines et néo-pu-
niques ; nous n’en connaissons pas une seule qui soit latine et punique.
L’écriture néo-punique est en effet à peu près contemporaine de l’arrivée des
Romains en Afrique. Il ne faut pas en chercher la preuve dans les monnaies de Car-
thage, elles nous font défaut pendant cent cinquante ans, et, quand elles reparaissent,
(1) Müller, Numismatique de l’ancienne Afrique, t. II, p. 75 ss.
puniques, de l’autre. Cette date est, il est vrai, peu reculée, et nous possédons un
grand nombre d’inscriptions plus anciennes; elle a pourtant ici une signification
particulière , si l’on songe que la ville phénicienne et la ville romaine sont séparées
par un intervalle de 150 ans, et correspondent à deux civilisations absolument
différentes.
L’archéologie fournirait à elle seule des indices presque suffisants pour prouver
mon assertion. L’ornementation des stèles est grecque ; on y retrouve tous les
caractères du style ionique ; on sent que l’architecture romaine n’a pas encore passé
par là. Les symboles sont aussi ceux des monnaies autonomes de Carthage : le
caducée, le palmier, le taureau, les poissons (1). Il est vrai que quelques-uns d’entre
eux se retrouvent sur les monnaies d’époque romaine, mais ils ont en général sur
ces dernières un cachet particulier qui ne permet guère la confusion; le caducée,
par exemple, figure indistinctement sur les monnaies de l’ancienne et de la nou-
velle Carthage, mais, sur les monnaies de la Carthage romaine, il a des ailes; au con-
traire, sur les monnaies autonomes, de même que sur nos inscriptions, il en est
toujours dépourvu.
L’antiquité de ces monuments ressort encore plus clairement de leur comparai-
son avec les inscriptions néo-puniques ; ces deux arts sont séparés par un abîme.
Sur les monuments qui portent des inscriptions néo-puniques, le dessin est à la
fois plus grossier et plus massif; ce n’est pas l’enfance de l’art, c’est la barbarie ;
les symboles sont plus compliqués, les personnages, tout en étant moins corrects,
ont des proportions plus considérables, et des cintres épais ont pris la place des co-
lonnes ioniennes.
La langue des inscriptions nous amène aux mêmes conclusions. Plusieurs, en
effet, portent la formule rUtnfimp D;? « le peuple de Carthage », si fréquente
sur les monnaies carthaginoises antérieures à la perte de la Sicile. Toutes, il est
vrai, n’ont pas la même antiquité, mais toutes se distinguent par le caractère pres-
que exclusivement phénicien de leur onomastique, et par l’absence de noms romains ;
or, quelque ardent que fut le patriotisme des habitants de Carthage, on ne peut pas
oublier que c’est à une colonie romaine qu’elle a dû son prompt relèvement. L’élé-
ment romain a dû laisser des traces dans la nouvelle société carthaginoise ; et il en
a laissé, en effet, sur les inscriptions néo-puniques; les noms romains sont assez
nombreux; on trouve même des inscriptions entières bilingues, latines et néo-pu-
niques ; nous n’en connaissons pas une seule qui soit latine et punique.
L’écriture néo-punique est en effet à peu près contemporaine de l’arrivée des
Romains en Afrique. Il ne faut pas en chercher la preuve dans les monnaies de Car-
thage, elles nous font défaut pendant cent cinquante ans, et, quand elles reparaissent,
(1) Müller, Numismatique de l’ancienne Afrique, t. II, p. 75 ss.