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Saglio, Edmond: Polyphème
DOI Page / Citation link: https://doi.org/10.11588/diglit.25011#0016
g POLYPHÈME.
prêter au Cyclope au moins une figure humaine ; les soins donnés à la chevelure et a la
barbe attestent même quelque préoccupation de la beauté. L’art de la Grèce a embelli
tous les monstres. Il faut chercher ailleurs l’image effroyable décrite par les poètes. En
Étrurie, dans un tombeau de Corneto connu sous le nom de Tomba delV Orco ou de
Grotta di Polifemo, une peinture murale représente Polyphénie comme un géant
épais et lourd, à la tête hideuse, dont un œil rond, démesurément ouvert, remplit le
front tout entier. Cette peinture se trouve placée à côté d’autres qui comptent parmi
les meilleures qu’ait produites l’art étrusque quand il était tout imprégné du génie de
la Grèce; mais le génie de l’Étrurie ne répugnait pas autant à la laideur1 2.
En dehors de la peinture, il existe un certain nombre de monuments antiques, grecs,
étrusques et romains, où Polyphême est figuré, soit avant, soit après le moment où il est
aveuglé par Ulysse, saisissant un de ses compagnons pour le mettre en pièces et le
dévorer, ou recevant le vin qui le doit enivrer, ou encore, lorsque les Grecs se sont
échappés et s’éloignent sur leur vaisseau, debout à l’entrée de sa caverne, armé d’une
pierre qu’il s’apprête à lancer sur eux. Dans tous ces monuments, il a l’apparence d’un
homme de taille colossale, quelquefois ne dépassant pas la mesure humaine, et il n’est
pas dépourvu de beauté; sa physionomie est sauvage, mais non pas difforme. 11 a ordi-
nairement deux yeux comme les autres hommes. Il en a trois dans un groupe de marbre
du Musée du Capitole3, c’est-à-dire qu’il a un troisième œil au milieu du front ; trois
aussi dans une tête de marbre du Musée de Lyon4, un ouvert entre les sourcils, les
deux autres indiqués seulement par des paupières. Mais, a-t-on dit5, ces monuments sont
romains, et tous ceux qui offrent cette parcularité d’un troisième œil appartiennent
vraisemblablement à l’époque romaine; on ne trouve le Cyclope, ni avec un troisième
œil ni avec l’œil unique que lui donnent les poètes, dans aucun des monuments grecs de
la plus ancienne époque, ni dans l’Etrurie même. La peinture du tombeau de Corneto
qui a été rappelée plus haut prouve suffisamment fe contraire; toutefois, il paraît cer-
tain que les artistes grecs se sont de bonne heure écartés de la tradition qui représentait
Polyphême laid et avec un seul œil, tandis que les poètes y restaient fidèles6.
Une transformation du type de Polyphême paraît s’être opérée à la fois dans l’art et
1. Monum. de l’Inst., t. IX, p. xv. 7.
2. Arditi, Illustrazione di un bassirilievo ïn marmo del
II. Museo Borbonico, Naples, 1827 ; Raoul Rochette, Mon.
inédits, p. 346 et suiv. , pl. lxii, lxiii, lxv; Rrunn,
Urne etrusche, pl. lxxxvi et lxxxvii; Schlie, Darstel-
lungen des troisch. Sagenkreises, p. 178 et s. ; Overbeck,
Bildwerke zum troischen Ileldenkreis, p. 760 et s.
3. Museo Capitol. Stat., t. I, pl. lix, p. 144: Clarac,
Musée de sculpt., pl. 835, n° 2091 ; Overbeck, Gallerie.
p. xxx, 19.
4. Millin, Galerie mytholog.,\A. clxxiv, 631 -, Guigniaut,
Xowr. galerie mytholog., pl. cclxvii, 843 a; voy. aussi les
planches de Y Encyclopédie méthodique, 1824. t. III. pl.
340, 4. D’autres têtes semblables sont aux Musées de Flo-
rence et de Turin ; Tischbein, H orner, Odyss., vii; Schorn,
Amalthea, p. 467.
5. Raoul Rochette, Ouv. cit., p. 351.
6. Ilésiod. Theog., 144 ; Théocrit., Idyll., xi, 31 ; cf.
Eustath, Ad. Odyss., I. 69, p. 1392, 35; et ix, 182,
p. 1622, 48 ; Virg. Aen. ni, 658, et Servius, ad h. Ovid.,
Métamorph.j xm. Cette contradiction des œuvres de l’art
et de la poésie semble avoir exercé la critique dès l’anti-
quité. D'après une scholie de Venise sur le vers 389 du
chant ixc de l’Odyssée, les Cyclopes d’Homère étaient des
hommes ayant leurs deux yeux, et Polyphême en avait
perdu un par accident.
prêter au Cyclope au moins une figure humaine ; les soins donnés à la chevelure et a la
barbe attestent même quelque préoccupation de la beauté. L’art de la Grèce a embelli
tous les monstres. Il faut chercher ailleurs l’image effroyable décrite par les poètes. En
Étrurie, dans un tombeau de Corneto connu sous le nom de Tomba delV Orco ou de
Grotta di Polifemo, une peinture murale représente Polyphénie comme un géant
épais et lourd, à la tête hideuse, dont un œil rond, démesurément ouvert, remplit le
front tout entier. Cette peinture se trouve placée à côté d’autres qui comptent parmi
les meilleures qu’ait produites l’art étrusque quand il était tout imprégné du génie de
la Grèce; mais le génie de l’Étrurie ne répugnait pas autant à la laideur1 2.
En dehors de la peinture, il existe un certain nombre de monuments antiques, grecs,
étrusques et romains, où Polyphême est figuré, soit avant, soit après le moment où il est
aveuglé par Ulysse, saisissant un de ses compagnons pour le mettre en pièces et le
dévorer, ou recevant le vin qui le doit enivrer, ou encore, lorsque les Grecs se sont
échappés et s’éloignent sur leur vaisseau, debout à l’entrée de sa caverne, armé d’une
pierre qu’il s’apprête à lancer sur eux. Dans tous ces monuments, il a l’apparence d’un
homme de taille colossale, quelquefois ne dépassant pas la mesure humaine, et il n’est
pas dépourvu de beauté; sa physionomie est sauvage, mais non pas difforme. 11 a ordi-
nairement deux yeux comme les autres hommes. Il en a trois dans un groupe de marbre
du Musée du Capitole3, c’est-à-dire qu’il a un troisième œil au milieu du front ; trois
aussi dans une tête de marbre du Musée de Lyon4, un ouvert entre les sourcils, les
deux autres indiqués seulement par des paupières. Mais, a-t-on dit5, ces monuments sont
romains, et tous ceux qui offrent cette parcularité d’un troisième œil appartiennent
vraisemblablement à l’époque romaine; on ne trouve le Cyclope, ni avec un troisième
œil ni avec l’œil unique que lui donnent les poètes, dans aucun des monuments grecs de
la plus ancienne époque, ni dans l’Etrurie même. La peinture du tombeau de Corneto
qui a été rappelée plus haut prouve suffisamment fe contraire; toutefois, il paraît cer-
tain que les artistes grecs se sont de bonne heure écartés de la tradition qui représentait
Polyphême laid et avec un seul œil, tandis que les poètes y restaient fidèles6.
Une transformation du type de Polyphême paraît s’être opérée à la fois dans l’art et
1. Monum. de l’Inst., t. IX, p. xv. 7.
2. Arditi, Illustrazione di un bassirilievo ïn marmo del
II. Museo Borbonico, Naples, 1827 ; Raoul Rochette, Mon.
inédits, p. 346 et suiv. , pl. lxii, lxiii, lxv; Rrunn,
Urne etrusche, pl. lxxxvi et lxxxvii; Schlie, Darstel-
lungen des troisch. Sagenkreises, p. 178 et s. ; Overbeck,
Bildwerke zum troischen Ileldenkreis, p. 760 et s.
3. Museo Capitol. Stat., t. I, pl. lix, p. 144: Clarac,
Musée de sculpt., pl. 835, n° 2091 ; Overbeck, Gallerie.
p. xxx, 19.
4. Millin, Galerie mytholog.,\A. clxxiv, 631 -, Guigniaut,
Xowr. galerie mytholog., pl. cclxvii, 843 a; voy. aussi les
planches de Y Encyclopédie méthodique, 1824. t. III. pl.
340, 4. D’autres têtes semblables sont aux Musées de Flo-
rence et de Turin ; Tischbein, H orner, Odyss., vii; Schorn,
Amalthea, p. 467.
5. Raoul Rochette, Ouv. cit., p. 351.
6. Ilésiod. Theog., 144 ; Théocrit., Idyll., xi, 31 ; cf.
Eustath, Ad. Odyss., I. 69, p. 1392, 35; et ix, 182,
p. 1622, 48 ; Virg. Aen. ni, 658, et Servius, ad h. Ovid.,
Métamorph.j xm. Cette contradiction des œuvres de l’art
et de la poésie semble avoir exercé la critique dès l’anti-
quité. D'après une scholie de Venise sur le vers 389 du
chant ixc de l’Odyssée, les Cyclopes d’Homère étaient des
hommes ayant leurs deux yeux, et Polyphême en avait
perdu un par accident.