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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 14.1863

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Nr. 1
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Blanc, Charles: Du style et de M. Ingres
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https://doi.org/10.11588/diglit.17333#0014

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10

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

De loin, on croit voir sans doute une figure antique, tant les lignes sont
belles, savantes et pondérées ; mais de près on reconnaît çà et là les
accents d'une nature individuelle, d'abord dans la posture d'OEdipe, qui
a quelque chose de digne et de familier tout ensemble, ensuite dans cer-
tains traits qui particularisent la figure sans l'appauvrir, qui lui prêtent
les apparences de la vie sans lui enlever la majesté des personnages anti-
ques, sans la dépouiller de cette grandeur inhérente aux êtres que la
légende ou l'histoire ont revêtus d'immortalité. Par exemple, le profil
d'OEdipe, au lieu d'être sévèrement droit, est légèrement busqué. Sa
barbe juvénile n'est copiée sur aucune statue, sur aucun bas-relief. Le
pli que forme le muscle du cou sur la tête relevée, le jarret sec et ner-
veux de ce jeune homme rompu aux fatigues, M. Ingres les accuse au
plus vif, et comme ni David ni personne assurément ne les aurait accu-
sés. Grâce à la franchise, à l'énergie de ces accents inattendus, la figure
n'a plus rien d'académique, rien de pomif. 11 se peut qu'elle ait été
empruntée aussi d'un camée ou d'une médaille, et, si cela est, il faut en
féliciter le peintre ; mais la nature a redonné au motif grec une éloquence
nouvelle, la tradition a été retrempée dans les sources vives, le héros
s'est rajeuni au souffle de l'art. Cependant, ce modelé, si fièrement res-
senti en quelques endroits, il est sobre et finement passé dans le reste de
la figure, de façon qu'il s'y trouve assez de réalité pour qu'elle soit
humaine, c'est-à-dire tangente à la vie, assez peu pour qu'elle nous appa-
raisse dans la perspective des époques fabuleuses avec le prestige que
prêtent aux hommes et aux choses les siècles écoulés. Mais ce mélange
de style et de nature, d'immortalité et de vie réelle, il est surtout frap-
pant dans la figure du sphinx, figure animée et pourtant symbolique,
divine par la beauté de sa tête, infernale par le sinistre frémissement de
ses ailes et de ses griffes. Au fond delà caverne où OEdipe s'est aventuré,
le peintre n'a pas craint de laisser entrevoir les pieds d'un cadavre et les
squelettes de ceux que le sphinx a dévorés : autre moyen encore plus
énergique pour ajouter à l'intérêt de la scène et à l'émotion, pour faire
toucher au doigt ce qu'il y a de tragique dans la situation du fils de Laïus,
si tranquillement aux prises avec une mort affreuse, et enfin ce qu'il y a
de réel dans cette mystérieuse fable d'OEdipe, qui sans cela ne serait plus
à nos yeux qu'une froide allégorie, à demi effacée par la brume des âges
où se confondent le mythe et l'histoire.

Ainsi, au commencement de sa carrière, M. Ingres avait deviné com-
ment il convenait de modifier les principes de son maître. David n'avait
aperçu qu'une partie de la vérité ; le peintre d'OEdipe l'apercevait déjà
tout entière. Mais d'où lui venait cette intuition si semblable au génie?
 
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