GRAVURES
La Vierge a la Chaise, de Raphaël, gravée par Calamatta
Paris, Dusacq et G% éditeurs; 1863.
raver un morceau de Raphaël est certainement la plus belle entreprise
que puisse former un graveur ; c'est aussi la plus favorable au talent et
au succès. Parmi les grands peintres, en effet, il n'en est pas dont les
œuvres conviennent mieux à la gravure et perdent moins à être traduites par le burin.
Les souveraines qualités de Raphaël, l'ordonnance, le dessin, l'expression, la merveil-
leuse pondération des lignes, la majesté dans la grâce, l'aisance dans le sublime, tout
cela peut être conservé dans la version du graveur, et celui-ci n'a qu'une seule diffi-
culté à vaincre, une difficulté immense, il est vrai : dessiner juste, dessiner selon le
sentiment du maître, selon le caractère de ses figures et de ses pensées. Mais aussi
quelle récompense l'attend, s'il comprend, s'il pénètre la beauté de l'original, s'il est
habile à l'exprimer fidèlement! Et pour cela, il n'a qu'à laisser parler son modèle; car
une chose admirable dans les ouvrages de Raphaël, c'est qu'ils se traduisent d'eux-
mêmes, pour ainsi dire, quand on se contente d'obéir au maître, sans y ajouter du
sien, de sorte que le chef-d'œuvre vient un beau jour se mirer, se fixer sur la planche
de cuivre, et y creuser une empreinte impérissable.
Lorsqu'on est en présence d'une machine à grand effet, lorsqu'on doit, avec les
seules ressources du noir et du blanc, donner une idée de ces peintures d'apparat où
triomphe le génie d'un Véronèse, où éclate le coloris d'un Rubens, le graveur ne peut
plus s'en tenir à la traduction scrupuleuse et littérale. Il faut qu'il démêle dans chaque
ton sa valeur, c'est-à-dire la somme de clair et la somme d'obscur qui en résulte, et
il arrive alors bien souvent que le burin est impuissant à suivre le peintre dans les
jeux variés de sa palette, dans la finesse inappréciable ou du moins intraduisible
de ses nuances. Il est nécessaire alors de prendre un parti, de substituer à la
vérité rigoureuse une interprétation libre qui produise finalement, sinon la même
impression que l'original, du moins une impression analogue. Par exemple, Bols-
wert, Wostermann, Pontius, en gravant les Rubens, ont quelquefois détaché les
figures en clair sur un fond sombre, tandis que sur le tableau l'ensemble des
figures s'enlevait-en vigueur sur un fond clair. Il n'en est pas de même avec Raphaël :
le peintre, faisant œuvre de grand dessinateur, ne parle pas une langue bien diffé-
rente de celle que le graveur emploie, do sorte qu'il est plus facile de transposer
l'harmonie de son tableau ou de sa fresque, en les réduisant à un camaïeu. C'est
ainsi que tant de Vierges, sorties du pinceau de Raphaël, sont devenues des Marc-
Antoine, et n'en diffèrent sensiblement que par le ton local des draperies et du fond.
La Vierge a la Chaise, de Raphaël, gravée par Calamatta
Paris, Dusacq et G% éditeurs; 1863.
raver un morceau de Raphaël est certainement la plus belle entreprise
que puisse former un graveur ; c'est aussi la plus favorable au talent et
au succès. Parmi les grands peintres, en effet, il n'en est pas dont les
œuvres conviennent mieux à la gravure et perdent moins à être traduites par le burin.
Les souveraines qualités de Raphaël, l'ordonnance, le dessin, l'expression, la merveil-
leuse pondération des lignes, la majesté dans la grâce, l'aisance dans le sublime, tout
cela peut être conservé dans la version du graveur, et celui-ci n'a qu'une seule diffi-
culté à vaincre, une difficulté immense, il est vrai : dessiner juste, dessiner selon le
sentiment du maître, selon le caractère de ses figures et de ses pensées. Mais aussi
quelle récompense l'attend, s'il comprend, s'il pénètre la beauté de l'original, s'il est
habile à l'exprimer fidèlement! Et pour cela, il n'a qu'à laisser parler son modèle; car
une chose admirable dans les ouvrages de Raphaël, c'est qu'ils se traduisent d'eux-
mêmes, pour ainsi dire, quand on se contente d'obéir au maître, sans y ajouter du
sien, de sorte que le chef-d'œuvre vient un beau jour se mirer, se fixer sur la planche
de cuivre, et y creuser une empreinte impérissable.
Lorsqu'on est en présence d'une machine à grand effet, lorsqu'on doit, avec les
seules ressources du noir et du blanc, donner une idée de ces peintures d'apparat où
triomphe le génie d'un Véronèse, où éclate le coloris d'un Rubens, le graveur ne peut
plus s'en tenir à la traduction scrupuleuse et littérale. Il faut qu'il démêle dans chaque
ton sa valeur, c'est-à-dire la somme de clair et la somme d'obscur qui en résulte, et
il arrive alors bien souvent que le burin est impuissant à suivre le peintre dans les
jeux variés de sa palette, dans la finesse inappréciable ou du moins intraduisible
de ses nuances. Il est nécessaire alors de prendre un parti, de substituer à la
vérité rigoureuse une interprétation libre qui produise finalement, sinon la même
impression que l'original, du moins une impression analogue. Par exemple, Bols-
wert, Wostermann, Pontius, en gravant les Rubens, ont quelquefois détaché les
figures en clair sur un fond sombre, tandis que sur le tableau l'ensemble des
figures s'enlevait-en vigueur sur un fond clair. Il n'en est pas de même avec Raphaël :
le peintre, faisant œuvre de grand dessinateur, ne parle pas une langue bien diffé-
rente de celle que le graveur emploie, do sorte qu'il est plus facile de transposer
l'harmonie de son tableau ou de sa fresque, en les réduisant à un camaïeu. C'est
ainsi que tant de Vierges, sorties du pinceau de Raphaël, sont devenues des Marc-
Antoine, et n'en diffèrent sensiblement que par le ton local des draperies et du fond.