Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 14.1863

DOI issue:
Nr. 4
DOI article:
Blanc, Charles: "La vierge à la chaise", de Raphael, gravée par Calmatta: gravures
DOI Page / Citation link:
https://doi.org/10.11588/diglit.17333#0390

DWork-Logo
Overview
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
GRAVURES.

379

Encore une fois, l'essentiel, si l'on veut graver un tel maître, c'est de bien dessiner;
mais combien peu d'artistes sont capables de sentir assez profondément, assez finement,
de dessiner avec assez de grandeur et d'intimité à la fois pour se mesurer avec
Raphaël ! Edelinck, Boucher-Desnoyers, Richomme et Calamatta, sont les seuls, en
France, qui, à divers degrés, n'aient pas été au-dessous d'une tâche aussi glorieuse.
Edelinck a vu Raphaël par le côté fier, il en a fait ressortir la grâce sérieuse, l'élé-
gance pleine et virile; Richomme l'a compris autrement, il a cru y voir un caractère
de religieuse douceur et de tendresse presque féminine; Desnoyers l'a rendu d'un
burin pur, ferme, incisif, et dont la précision savante confine à la sécheresse, de sorte
que le peintre d'Urbin conserve dans les planches de Desnoyers ses allures primitives,
je veux dire son aspect péruginesque ; M. Calamatta, au contraire, se trouvant en pré-
sence d'un tableau célèbre, déjà gravé par Desnoyers, la Vierge à la Chaise, a repro-
duit le peintre, non plus tel qu'il était dans sa naïve adolescence, mais tel que l'avait
modifié la maturité précoce de son génie, lorsque sa manière est devenue plus nourrie,
plus généreuse et plus ample. Une chose extrêmement curieuse à constater, en compa-
rant l'estampe de Desnoyers et celle de Calamatta, c'est que ces deux estampes
ressemblent à l'original, sans cependant se ressembler entre elles. Cela paraît absurde
au premier abord, et pourtant cela est vrai.

Les grands artistes ont ce rare privilège qu'ils ne représentent pas seulement une
des faces de l'humanité; ils en représentent plusieurs et quelquefois ils la résument
tout entière. « Ils sont illustres, comme dit Montaigne, par bien des visages. » Cha-
cun alors peut venir se contempler lui-même dans ce diamant taillé à facettes et y
apercevoir un reflet de son âme.

Romain d'origine, mais naturalisé en France par un séjour qui a duré plus de
trente ans, M. Calamatta n'a rien mis dans sa gravure de ce sentiment un peu farouche,
si frappant chez Marc-Antoine, et qui reparaît chez Edelinck; il nous semble avoir
adouci le caractère transtévérin de la Madone, et avoir insisté sur le côté touchant du
tableau plutôt que de s'attacher au côté imposant.

Et d'abord cet aspect enveloppé et fondu que présente son estampe tient à la mul-
tiplicité des travaux dont le cuivre est couvert. Non-seulement on ne voit paraître
nulle part le blanc pur du papier, si ce n'est dans le mantelet de la Vierge, gravée
d'une taille espacée et légère; mais presque toutes les tailles sont croisées, ou emmêlées
de points, ou soutenues par des entretailles: il en résulte un ton général estompé qui,
du reste, est plus conforme au tableau de Raphaël, tel que nous l'avons vu, car il est
aujourd'hui fatigué, harmonisé par le temps, et, comme disent les Italiens, effumé,
sfumato. Un graveur a, sans doute, le droit de reproduire une peinture ancienne dans
1 état où elle dut être lorsqu'elle sortit (ouïe fraîche des mains de l'artiste ; mais le plus
sûr est de graver ce qu'on voit, sans rien supposer, sans faire abstraction de la patine
que le temps a étendue comme un vernis sur la toile. C'est ce qu'a pensé M. Calamatta,
et, pour en venir à cet ensemble mystérieux qu'il voulait rendre, le très-habile maître
a mis en œuvre les procédés qu'il chérit le plus, ceux qui lui ont servi à graver la
Joconde de Léonard de Vinci. II semble même que ce soit en gravant la merveille do
1 art moderne qu'il ait contracté ce goût pour l'effacement des contours, l'adoucisse-
ment du trait et le relief des milieux ; car, de tous les grands dessinateurs, Léonard
est le seul qui ait perdu dans le modelé général les lignes de son dessin, et qui les
ait fait fuir comme elles fuient réellement par l'effet de la perspective naturelle.

Michel-Ange, André del Sarte, Raphaël lui-même, ont toujours accusé fièrement
 
Annotationen