LA SCULPTURE AVANT PHIDIAS. 43I
Périlaos, l'auteur du taureau de Phalaris. On regarde volontiers comme
une fable cette légende du taureau d'airain auquel les Grecs semblent
avoir immolé des victimes humaines, aussi bien qu'au Minotaure de
Crète ; mais la fable n'est sans doute qu'un emprunt fait à la religion
phénicienne et au culte sanglant de Moloch.
Enfin, à l'extrémité de la Sicile et du monde grec, Sélinonte nous
offre, non pas des noms de sculpteurs, mais quelque chose de plus
précieux encore, leurs œuvres. Sur ces curieux monuments d'époques
différentes, quoique peu éloignées, on saisit le moment où l'influence de
l'art grec, déjà nettement caractérisé, se substitue à l'influence de l'art
oriental, transmis primitivement par les Phéniciens, qui de tous côtés
entouraient Sélinonte. Nous reviendrons plus tard sur les bas-reliefs des
temples de Sélinonte.
Rien de surprenant, si l'on observe dans l'histoire de la statuaire la
même diffusion, le même ensemble de progrès que nous avons constatés
dans l'histoire de l'architecture1. Les matières nouvelles sont transportées
par le commerce, les artistes voyagent, les types, les sujets, les procé-
dés, les innovations se transmettent de ville en ville et de pays en pays.
La Méditerranée, ce lac du monde ancien, est sillonnée par d'innom-
brables navires; les colonies les plus lointaines ne font pas seulement un
échange de marchandises, elles font un échange d'idées. Entre ces villes
grecques, toutes si bien assises au bord de la mer, le commerce et les
relations de chaque jour sont les fils invisibles qui forment peu à peu, en
se jouant de l'analyse la plus subtile des historiens, cette trame magni-
fique qu'on nomme la civilisation grecque. La mer ne séparait point les
îles ni les continents : elle les unissait. Le monde grec, si vaste déjà sur
la carte, plus vaste encore lorsque l'on considère le développement de ses
côtes, était conquis à l'unité intellectuelle par la rivalité même qui s'op-
posait à son unité politique. Personne ne voulait se laisser dépasser, et
dans cette lutte d'un peuple qui poursuivait la perfection par la seule
force de son instinct, les haines et les antagonismes de races étaient ou-
bliés. J'avoue que j'admire sans réserve la facilité, l'humanité, la tolé-
rance, la bonne grâce de l'esprit grec, qui a su distinguer l'ordre poli-
tique et l'ordre moral, qui n'a point sacrifié aux nécessités de la guerre
les arts de la paix. Aussi les Hellènes, tout en restant divisés à l'infini et
en ne trouvant jamais assez de champs de bataille pour s'égorger, ont-ils
1. Voyez dans la Revue d'architecture et des travaux publics (années 1837 et
1858) une série d'articles intitulés: Histoire de l'architecture au siècle de Pisis-
trate. Ces articles ont été réunis en un volume qui n'a point été mis en vente, mais
donné à un petit nombre de confrères et d'amis.
Périlaos, l'auteur du taureau de Phalaris. On regarde volontiers comme
une fable cette légende du taureau d'airain auquel les Grecs semblent
avoir immolé des victimes humaines, aussi bien qu'au Minotaure de
Crète ; mais la fable n'est sans doute qu'un emprunt fait à la religion
phénicienne et au culte sanglant de Moloch.
Enfin, à l'extrémité de la Sicile et du monde grec, Sélinonte nous
offre, non pas des noms de sculpteurs, mais quelque chose de plus
précieux encore, leurs œuvres. Sur ces curieux monuments d'époques
différentes, quoique peu éloignées, on saisit le moment où l'influence de
l'art grec, déjà nettement caractérisé, se substitue à l'influence de l'art
oriental, transmis primitivement par les Phéniciens, qui de tous côtés
entouraient Sélinonte. Nous reviendrons plus tard sur les bas-reliefs des
temples de Sélinonte.
Rien de surprenant, si l'on observe dans l'histoire de la statuaire la
même diffusion, le même ensemble de progrès que nous avons constatés
dans l'histoire de l'architecture1. Les matières nouvelles sont transportées
par le commerce, les artistes voyagent, les types, les sujets, les procé-
dés, les innovations se transmettent de ville en ville et de pays en pays.
La Méditerranée, ce lac du monde ancien, est sillonnée par d'innom-
brables navires; les colonies les plus lointaines ne font pas seulement un
échange de marchandises, elles font un échange d'idées. Entre ces villes
grecques, toutes si bien assises au bord de la mer, le commerce et les
relations de chaque jour sont les fils invisibles qui forment peu à peu, en
se jouant de l'analyse la plus subtile des historiens, cette trame magni-
fique qu'on nomme la civilisation grecque. La mer ne séparait point les
îles ni les continents : elle les unissait. Le monde grec, si vaste déjà sur
la carte, plus vaste encore lorsque l'on considère le développement de ses
côtes, était conquis à l'unité intellectuelle par la rivalité même qui s'op-
posait à son unité politique. Personne ne voulait se laisser dépasser, et
dans cette lutte d'un peuple qui poursuivait la perfection par la seule
force de son instinct, les haines et les antagonismes de races étaient ou-
bliés. J'avoue que j'admire sans réserve la facilité, l'humanité, la tolé-
rance, la bonne grâce de l'esprit grec, qui a su distinguer l'ordre poli-
tique et l'ordre moral, qui n'a point sacrifié aux nécessités de la guerre
les arts de la paix. Aussi les Hellènes, tout en restant divisés à l'infini et
en ne trouvant jamais assez de champs de bataille pour s'égorger, ont-ils
1. Voyez dans la Revue d'architecture et des travaux publics (années 1837 et
1858) une série d'articles intitulés: Histoire de l'architecture au siècle de Pisis-
trate. Ces articles ont été réunis en un volume qui n'a point été mis en vente, mais
donné à un petit nombre de confrères et d'amis.