LIVRES D'ART.
Dick. Moon en France, journal d'un Anglais de Paris, par Francis Wey.
Paris, Hachette; 1862.
ick Moon n'est peut-être pas un Anglais de très-bonne race, il n'a pas
Vhumour d'Vorick. Mais à vivre en France, il s'est si bien frotté d'es-
prit qu'on le prendrait pour ce qu'il ne veut pas être.
Ce qui le distingue de la plupart des Français, c'est qu'il connaît la
France; ce qui le distingue des Parisiens, c'est qu'il la voit ailleurs qu'à Paris. Ajoutez
qu'à la critique mordante du moraliste, à la verve du voyageur, à l'intérêt du roman-
cier, il mêle une érudition de bon aloi et un vif amour de l'art; vous serez embar-
rassé pour classer Dick Moon dans telle ou telle catégorie d'écrivains.
La place que tiennent les beaux-arts dans ce volume est un signe du temps. Partout
où le touriste rencontre un monument, il le regarde en artiste, il en parle en archéo-
logue. La ïouraine,avec ses châteaux, fruits d'une architecture autochthone, lui fournit
matière à quelques pages excellentes. Il regrette, et nous regrettons avec lui, que nos
architectes n'empruntent pas résolument à ces modèles du goût français le type de leurs
constructions civiles. Chemin faisant, il signale les œuvres remarquables enfouies dans
les musées des départements, par exemple, au musée de Besançon, le beau Saint
Sébastien de Fra Bartolomeo. Il relève les noms d'artistes français qu'enveloppe
encore le noir linceul de l'oubli provincial : — Pierre Nepveu, dit Trinqueau, l'archi-
tecte du château de Chambord ; — Barthélémy de Vire, auteur de Sainte-Marie de
Laon; — l'actif et dévoué fondateur du musée de Colmar, M. Hugot; — Melchior
Wyrsch et les autres peintres de Besançon, dont nous parlait naguère un Bisontin de
ses amis.
C'est surtout à Paris que le goût de Dick Moon prend ses coudées franches. Il rend
pleine justice à la Sainte-Chapelle de M. Lassus, à la Notre-Dame de M. Yiollet-Le-Duc.
Il a pour les Tuileries d'heureuses sévérités. Du reste, il touche à tout, les palais, les
églises, les hôtels, les maisons, les ponts et les fontaines, et sa verve railleuse n'épargne
ni le vieux ni le neuf.
S'agit-il de visiter le Louvre; cet Anglais de Paris, ou d'ailleurs, rencontre à point
nommé certain peintre, qu'à « sa barbe pointue comme celle d'une idole assyrienne, »
et à « son sourire de sphinx, » nous reconnaîtrions volontiers pour un compatriote
de Melchior Wyrsch, sinon de Dick Moon lui-même. Le réalisme seul peut s'écrier
dans la cour du Louyre : « Si vous ne demandez au Muséum qu'une amusette, et vous
ferez bien, je prétends que l'étalage est manqué; si vous rêvez la résurrection ou plutôt
la naissance d'un art énergique, original et libre, il faudrait brûler tout cela I » L'hon-
nête Dick Moon proleste, au nom de l'intérêt historique. — « On trouve des collections
ailleurs, dit-il, le Louvre est une institution. L'école historique, seule application réussie
de la philosophie nationale, a, pour instruire par les yeux, extrait ici de l'art universel
une synthèse logique présentée par le moyen de la chronologie... » Et il en prend texte
pour louer les catalogues : « Les catalogues du Louvre réalisent un cours complet
d'archéologie appliquée aux beaux-arts. » — Complet ? Aurait-il donc découvert celui
Dick. Moon en France, journal d'un Anglais de Paris, par Francis Wey.
Paris, Hachette; 1862.
ick Moon n'est peut-être pas un Anglais de très-bonne race, il n'a pas
Vhumour d'Vorick. Mais à vivre en France, il s'est si bien frotté d'es-
prit qu'on le prendrait pour ce qu'il ne veut pas être.
Ce qui le distingue de la plupart des Français, c'est qu'il connaît la
France; ce qui le distingue des Parisiens, c'est qu'il la voit ailleurs qu'à Paris. Ajoutez
qu'à la critique mordante du moraliste, à la verve du voyageur, à l'intérêt du roman-
cier, il mêle une érudition de bon aloi et un vif amour de l'art; vous serez embar-
rassé pour classer Dick Moon dans telle ou telle catégorie d'écrivains.
La place que tiennent les beaux-arts dans ce volume est un signe du temps. Partout
où le touriste rencontre un monument, il le regarde en artiste, il en parle en archéo-
logue. La ïouraine,avec ses châteaux, fruits d'une architecture autochthone, lui fournit
matière à quelques pages excellentes. Il regrette, et nous regrettons avec lui, que nos
architectes n'empruntent pas résolument à ces modèles du goût français le type de leurs
constructions civiles. Chemin faisant, il signale les œuvres remarquables enfouies dans
les musées des départements, par exemple, au musée de Besançon, le beau Saint
Sébastien de Fra Bartolomeo. Il relève les noms d'artistes français qu'enveloppe
encore le noir linceul de l'oubli provincial : — Pierre Nepveu, dit Trinqueau, l'archi-
tecte du château de Chambord ; — Barthélémy de Vire, auteur de Sainte-Marie de
Laon; — l'actif et dévoué fondateur du musée de Colmar, M. Hugot; — Melchior
Wyrsch et les autres peintres de Besançon, dont nous parlait naguère un Bisontin de
ses amis.
C'est surtout à Paris que le goût de Dick Moon prend ses coudées franches. Il rend
pleine justice à la Sainte-Chapelle de M. Lassus, à la Notre-Dame de M. Yiollet-Le-Duc.
Il a pour les Tuileries d'heureuses sévérités. Du reste, il touche à tout, les palais, les
églises, les hôtels, les maisons, les ponts et les fontaines, et sa verve railleuse n'épargne
ni le vieux ni le neuf.
S'agit-il de visiter le Louvre; cet Anglais de Paris, ou d'ailleurs, rencontre à point
nommé certain peintre, qu'à « sa barbe pointue comme celle d'une idole assyrienne, »
et à « son sourire de sphinx, » nous reconnaîtrions volontiers pour un compatriote
de Melchior Wyrsch, sinon de Dick Moon lui-même. Le réalisme seul peut s'écrier
dans la cour du Louyre : « Si vous ne demandez au Muséum qu'une amusette, et vous
ferez bien, je prétends que l'étalage est manqué; si vous rêvez la résurrection ou plutôt
la naissance d'un art énergique, original et libre, il faudrait brûler tout cela I » L'hon-
nête Dick Moon proleste, au nom de l'intérêt historique. — « On trouve des collections
ailleurs, dit-il, le Louvre est une institution. L'école historique, seule application réussie
de la philosophie nationale, a, pour instruire par les yeux, extrait ici de l'art universel
une synthèse logique présentée par le moyen de la chronologie... » Et il en prend texte
pour louer les catalogues : « Les catalogues du Louvre réalisent un cours complet
d'archéologie appliquée aux beaux-arts. » — Complet ? Aurait-il donc découvert celui