552
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
sa source dans les fausses poésies d'Ossian et qui donna naissance aux premières ten-
tatives du romantisme. Quand, plus tard, la nouvelle doctrine littéraire reçut de
mains plus habiles une consécration définitive, elle devait le trouver inébranlable.
M. Delécluze voulait être peintre. De 1802 à 1801, il produisit plusieurs tableaux.
« Ses premiers ouvrages, nous dit-il, consistèrent en quatre tableaux représentant les
travaux pendant les différentes saisons, entourés d'arabesques, composés pour décorer
la salle à manger d'une maison de campagne. » En 1807, il termina une Assomption
de laVierge destinée à l'église Saint-Roch; en 1808, on reçut à l'Exposition du Louvre
son tableau de la Mort d'Astyanax, pour lequel il obtint une médaille de première
classe. « A la suite du Salon de 1810, où avait été admise la composition à'Alexandre
blessé^ il fut chargé de faire quatre tableaux de scènes champêtres pour le grarfd salon
de la Malmaison, où ils sont encore, et mit à l'Exposition de 1812 les Milyléniens
troublés fendant une fêle reliyieuse, et quelques petites compositions. Quant à ses
derniers ouvrages, ils datent de 1814. C'est en cette triste année qu'il a achevé d'après
nature trois grands dessins à l'aquarelle (on les a vus naguère exposés au boulevard
des Italiens), représentant, l'un les soldats de la garde impériale blessés rentrant à
Paris après l'affaire de Montmirail, l'autre une colonne de Russes faits prisonniers à
cette bataille et défilant sous la porte Saint-Martin; enfin, dans une troisième compo-
sition sont rassemblées les troupes alliées après leur entrée à Paris. »
A ces travaux se borne la carrière do peintre do M. Delécluze. Lui-même nous en
apprend le motif, et ce motif est trop honorable pour qu'on puisse le passer sous
silence. « Les actions de Napoléon victorieux et tout-puissant étaient, dit-il, les
seuls sujets que traitassent les artistes les plus renommés... Quelqu'un avertit le jeune
Etienne que l'on serait assez disposé à mettre ses talents à l'épreuve, s'il voulait entre-
urendre un tableau dont le sujet était une anecdote relative à l'empereur. Le fait, insi-
gnifiant en lui-même, passait pour avoir été arrangé; en outre, il fallait aller solliciter
la complaisance des acteurs de la scène pour avoir leur portrait; enfin Etienne, qui ne
pouvait s'arrêter à l'idée d'imiter des sabres, des fusils et des uniformes sans voir s'éva-
nouir toutes ses plus douces illusions de peintre, n'accepta pas l'offre qui lui était
faite. » De tels scrupules sont aussi rares que les qualités d'esprit dont ils témoi-
gnent, et celui qu'ils ont pu arrêter a le droit de parler aux générations contempo-
raines.
Cependant il fallait vivre. Etienne pensa qu'il pouvait le faire avec honneur en
remplissant les modestes fonctions de professeur de dessin. Bien lui en prit, car, ainsi
qu'il le dit lui-même, « le professorat du dessin, qui n'apporte ordinairement point de
gloire et peu de profit à ceux qui l'exercent, eut des résultats bien différents pour
Etienne, qui se trouva tout à coup admis avec distinction et d'une manière vraiment
amicale au milieu de familles formant une société où se réunissaient habituellement
chaque semaine beaucoup d'hommes distingués de la France, et la plupart de ceux
venant d'Allemagne, de Suisse et d'Angleterre pour s'arrêter à Paris.» Ces excellentes
relations, outre l'agrément qu'y trouvait un esprit cultivé, lui valurent des avantages
plus positifs. Le Lycée français se fondait alors, offrant à une société saturée de poli-
tique le frais asile des lettres et des arts. M. Delécluze fut proposé et accepté pour
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
sa source dans les fausses poésies d'Ossian et qui donna naissance aux premières ten-
tatives du romantisme. Quand, plus tard, la nouvelle doctrine littéraire reçut de
mains plus habiles une consécration définitive, elle devait le trouver inébranlable.
M. Delécluze voulait être peintre. De 1802 à 1801, il produisit plusieurs tableaux.
« Ses premiers ouvrages, nous dit-il, consistèrent en quatre tableaux représentant les
travaux pendant les différentes saisons, entourés d'arabesques, composés pour décorer
la salle à manger d'une maison de campagne. » En 1807, il termina une Assomption
de laVierge destinée à l'église Saint-Roch; en 1808, on reçut à l'Exposition du Louvre
son tableau de la Mort d'Astyanax, pour lequel il obtint une médaille de première
classe. « A la suite du Salon de 1810, où avait été admise la composition à'Alexandre
blessé^ il fut chargé de faire quatre tableaux de scènes champêtres pour le grarfd salon
de la Malmaison, où ils sont encore, et mit à l'Exposition de 1812 les Milyléniens
troublés fendant une fêle reliyieuse, et quelques petites compositions. Quant à ses
derniers ouvrages, ils datent de 1814. C'est en cette triste année qu'il a achevé d'après
nature trois grands dessins à l'aquarelle (on les a vus naguère exposés au boulevard
des Italiens), représentant, l'un les soldats de la garde impériale blessés rentrant à
Paris après l'affaire de Montmirail, l'autre une colonne de Russes faits prisonniers à
cette bataille et défilant sous la porte Saint-Martin; enfin, dans une troisième compo-
sition sont rassemblées les troupes alliées après leur entrée à Paris. »
A ces travaux se borne la carrière do peintre do M. Delécluze. Lui-même nous en
apprend le motif, et ce motif est trop honorable pour qu'on puisse le passer sous
silence. « Les actions de Napoléon victorieux et tout-puissant étaient, dit-il, les
seuls sujets que traitassent les artistes les plus renommés... Quelqu'un avertit le jeune
Etienne que l'on serait assez disposé à mettre ses talents à l'épreuve, s'il voulait entre-
urendre un tableau dont le sujet était une anecdote relative à l'empereur. Le fait, insi-
gnifiant en lui-même, passait pour avoir été arrangé; en outre, il fallait aller solliciter
la complaisance des acteurs de la scène pour avoir leur portrait; enfin Etienne, qui ne
pouvait s'arrêter à l'idée d'imiter des sabres, des fusils et des uniformes sans voir s'éva-
nouir toutes ses plus douces illusions de peintre, n'accepta pas l'offre qui lui était
faite. » De tels scrupules sont aussi rares que les qualités d'esprit dont ils témoi-
gnent, et celui qu'ils ont pu arrêter a le droit de parler aux générations contempo-
raines.
Cependant il fallait vivre. Etienne pensa qu'il pouvait le faire avec honneur en
remplissant les modestes fonctions de professeur de dessin. Bien lui en prit, car, ainsi
qu'il le dit lui-même, « le professorat du dessin, qui n'apporte ordinairement point de
gloire et peu de profit à ceux qui l'exercent, eut des résultats bien différents pour
Etienne, qui se trouva tout à coup admis avec distinction et d'une manière vraiment
amicale au milieu de familles formant une société où se réunissaient habituellement
chaque semaine beaucoup d'hommes distingués de la France, et la plupart de ceux
venant d'Allemagne, de Suisse et d'Angleterre pour s'arrêter à Paris.» Ces excellentes
relations, outre l'agrément qu'y trouvait un esprit cultivé, lui valurent des avantages
plus positifs. Le Lycée français se fondait alors, offrant à une société saturée de poli-
tique le frais asile des lettres et des arts. M. Delécluze fut proposé et accepté pour