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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 18.1865

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Nr. 1
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Goncourt, Edmond de; Goncourt, Jules de: Fragonard, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.18742#0049

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FRAGONÀRD.

a

L’étude de l’Italie, copies, dessins, eaux-fortes, n’empêchait pas Fra-
gonard de créer et de peindre. Il composait, terminait patiemment quel-
ques tableaux, quelques jolies scènes d’intérieur, dont l’une passait en
1785 à la vente du bailli de Breteuil. On y voyait, dans une chambre rus-
tique, un jeune garçon cherchant à embrasser une jeune fille, à lui
prendre le baiser qu’il lui avait gagné au jeu, sur le coup de cartes étalé
sur la table. La jeune fille se débattait, mais une amie, en riant, lui pre-
nant les bras, la forçait à payer sa dette. Une note du catalogueur disait
le tableau peint en Italie par Fragonard, et sans doute acquis par le bailli
dans son séjour de vingt ans là-bas. Ce tableau, VEnjeu perdu, repas-
sait l’an dernier, sans que l’on en sût la provenance, à la vente du docteur
Aussant, et il étonnait le public par le précieux, le moelleux, le fini d’un
faire rare chez Fragonard1, contraire à ses habitudes, et presque à son
tempérament. La petite toile se jouait finement sur la gamme de suavité,
les violets pâles, les jaunes paille, les verts de mousse, les roses tendres
expirant dans l’adorable défaillance de la rose thé : elle se jouait sur la
palette nuée du. maître du sfumalo, du grand peintre des Assomptions
et des Nativités. Fragonard avait cherché la fonte du moelleux espagnol,
la vapeur de ses lumières, ces tons qui ont pour l’œil la caresse d’une
gaze. Le corsage, les manches blanches de la femme embrassée, sa jupe
jaune, son jupon rouge, les visages et les chairs, toute cette gaieté de
couleur doucement flambante dans une lumière de groseille faisait pen-
ser à une miniature de Murillo.

Murillo, on le voit visiblement dans ce petit tableau, est alors l’ad-
miration, la séduction du jeune peintre, une séduction dont il ne se dé-
tachera jamais tout à fait, même à l’heure de sa peinture pochée et cursive.
Il lui restera toujours l’amour de ces couleurs volatilisées, de ces tons
aspirant à une tendresse céleste; toujours ce goût de Murillo qui lui in-
spire encore en Italiesa peinture religieuse, cette Visitation de la Vierge
achetée par Randon de Boisset, et cette Adoration des Bergers faisant
accourir Paris à la galerie du marquis de Aeri.

EDMOND ET JULES DE CONCOURT.

I. C’est sans doute à cette première manière de Fragonard que Mariette., dans son
Abecedario, fait allusion quand il parle de la timidité de la main de Fragonard, tou-
jours mécontent de lui, effaçant, retouchant.

(La fin au prochain numéro.)

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