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GAZETTE DES BEAUX-AKTS.
tuellement, qu'on fut porté à croire à l'intervention souveraine dans cette
fabrication exceptionnelle.
Il n'en était rien pourtant : une femme de goût avait, seule, pris
l'initiative de cette création; il était réservé à M. Benjamin Fillon d'en
faire la découverte, et le lecteur nous saura gré de lui montrer par quels
moyens ingénieux la science archéologique procède aujourd'hui à ses
enquêtes. On savait que la plupart des faïences fines provenaient des
environs de Thouars; c'était un premier indice. Un jour, M. Fillon ren-
contre deux miniatures arrachées du calendrier d'un livre d'Heures ayant
appartenu à Claude Gouffier, grand écuyer de France, et l'un des plus
riches seigneurs poitevins; la feuille du mois de juillet représentait,
entourée de tous les insignes nobiliaires des Gouffier, une scène cham-
pêtre faisant allusion à la moisson : assis sur des gerbes, les paysans
prennent leur repas; le verre à la main, une femme arrête le bras d'un
voisin sans gêne qui vide une bouteille armoriée. Cette bouteille, le savant
y reconnut la teinte ivoirée, les dessins bruns de la faïence fine, et l'écu
des Gouffier. La lumière était faite; diverses tournées, terminées parla
visite du château d'Oiron, prouvèrent qu'il y avait eu là, en 1529, une
usine protégée par Hélène de Hangest, mère du grand écuyer, et an-
cienne gouvernante de Henri II. Un potier, Françoys Cherpentier, y avait
établi son four, et Jehan Bernart, gardien de la librairie d'Oiron, avait,
sous la haute direction de la maîtresse du château, dessiné la plupart
des ornements répétés sur toutes les pièces.
Chose assez fréquente dans les établissements protégés, on ne trouve
point à Oiron les tâtonnements d'un art dans l'enfance; au contraire, les
œuvres initiales sont les plus parfaites, au double point de vue du goût
et delà fabrication. La belle buire couverte (coll. Alph. de Rothschild),
ornée des armoiries de Gilles de Laval, caractérise cette première période ;
avec les ornements architectoniques, les formes plus compliquées et les
couleurs multiples, surgit une seconde époque, brillante encore, mais
moins pure que la précédente. Hélène de Hangest n'est plus; son fils
achève la construction du château d'Oiron, et impose sans doute à ses
artistes l'obligation de reproduire les ornements empruntés aux ver-
rières, aux pavages, peints eux-mêmes sur faïence, et aux fines sculp-
tures de l'édifice. Les délicieuses salières appartenant à M. le vicomte de
Tusseau ; celles triangulaires de M. le baron Alphonse de Rothschild et
de M. d'Yvon montrent, dans leurs délicates arabesques, une richesse peu
commune. Comme perfection de travail, citons dans cette période la coupe
de M. le baron James de Rothschid, avec ses grandes arabesques enca-
drant de fins motifs, que rehaussent des bucranes et les oies symboliques
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tuellement, qu'on fut porté à croire à l'intervention souveraine dans cette
fabrication exceptionnelle.
Il n'en était rien pourtant : une femme de goût avait, seule, pris
l'initiative de cette création; il était réservé à M. Benjamin Fillon d'en
faire la découverte, et le lecteur nous saura gré de lui montrer par quels
moyens ingénieux la science archéologique procède aujourd'hui à ses
enquêtes. On savait que la plupart des faïences fines provenaient des
environs de Thouars; c'était un premier indice. Un jour, M. Fillon ren-
contre deux miniatures arrachées du calendrier d'un livre d'Heures ayant
appartenu à Claude Gouffier, grand écuyer de France, et l'un des plus
riches seigneurs poitevins; la feuille du mois de juillet représentait,
entourée de tous les insignes nobiliaires des Gouffier, une scène cham-
pêtre faisant allusion à la moisson : assis sur des gerbes, les paysans
prennent leur repas; le verre à la main, une femme arrête le bras d'un
voisin sans gêne qui vide une bouteille armoriée. Cette bouteille, le savant
y reconnut la teinte ivoirée, les dessins bruns de la faïence fine, et l'écu
des Gouffier. La lumière était faite; diverses tournées, terminées parla
visite du château d'Oiron, prouvèrent qu'il y avait eu là, en 1529, une
usine protégée par Hélène de Hangest, mère du grand écuyer, et an-
cienne gouvernante de Henri II. Un potier, Françoys Cherpentier, y avait
établi son four, et Jehan Bernart, gardien de la librairie d'Oiron, avait,
sous la haute direction de la maîtresse du château, dessiné la plupart
des ornements répétés sur toutes les pièces.
Chose assez fréquente dans les établissements protégés, on ne trouve
point à Oiron les tâtonnements d'un art dans l'enfance; au contraire, les
œuvres initiales sont les plus parfaites, au double point de vue du goût
et delà fabrication. La belle buire couverte (coll. Alph. de Rothschild),
ornée des armoiries de Gilles de Laval, caractérise cette première période ;
avec les ornements architectoniques, les formes plus compliquées et les
couleurs multiples, surgit une seconde époque, brillante encore, mais
moins pure que la précédente. Hélène de Hangest n'est plus; son fils
achève la construction du château d'Oiron, et impose sans doute à ses
artistes l'obligation de reproduire les ornements empruntés aux ver-
rières, aux pavages, peints eux-mêmes sur faïence, et aux fines sculp-
tures de l'édifice. Les délicieuses salières appartenant à M. le vicomte de
Tusseau ; celles triangulaires de M. le baron Alphonse de Rothschild et
de M. d'Yvon montrent, dans leurs délicates arabesques, une richesse peu
commune. Comme perfection de travail, citons dans cette période la coupe
de M. le baron James de Rothschid, avec ses grandes arabesques enca-
drant de fins motifs, que rehaussent des bucranes et les oies symboliques