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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
« Ce langage d'abord eut de la peine à être entendu ; je prêchais à
des jeunes gens qui voyaient faire d'une manière tout opposée à celle où
je voulais les conduire; mais à force de persévérance, ma voix perça
enfin, et je suis ■parvenu non sans peine, à détruire, j'ose le dire, le
mauvais goût qui régnait dans tous les arts. Combien il m'a fallu de
constance et de fermeté pour lutter continuellement contre des obstacles
sans cesse renaissants, pour écarter journellement les nuages dont on
s'efforçait de couvrir la vérité que je voulais mettre au grand jour! Heu-
reusement, j'étais d'un caractère ferme et inébranlable, et bien persuadé
que la route que je m'étais tracée était la seule qui pût conduire mes
élèves à la perfection de l'Art; jamais je ne les laissai s'écarter dans les
voies trop battues de l'erreur, et je parvins enfin à leur faire toucher le
but désiré de l'imitation fidèle de la nature. »
Sa réputation, du reste, franchissait les frontières, et les souverains
étrangers recherchaient ses œuvres et sa personne.
Le comte de Moltke, ministre du roi de Danemark, écrivit au jeune
maître pour lui commander pour son compte particulier cinq tableaux ;
il lui mandait en même temps : « Mais avant de vous parler pour moi,
il faut que je vous parle pour mon maître Frédéric V. Il désire vous avoir
auprès de lui; le récit qu'on lui a fait de vos talents et des qualités de
votre personne, ont déterminé son choix. D'ailleurs vous n'aurez affaire
qu'à Lui; il aime les arts et désire les introduire dans ses États par
tous les moyens possibles; Il m'a chargé de. vous offrir 24,000 livres par
an, et un logement dans un de ses palais. »
Vien refusa : il n'était pas ingrat ni cupide, et surtout il voulait
mener à bonne fin la mission qu'il s'était donnée de détruire par ses
enseignements le mauvais goût du jour. Il répondit qu'il était pénétré
de reconnaissance de la proposition qu'on voulait bien lui faire ; mais
que tout récemment le gouvernement français l'avait traité d'une manière
si distinguée, qu'il craindrait de passer pour un homme qui court au
plus offrant, et que ce n'était pas là sa façon d'être ; que si ses faibles
talents pouvaient être agréables au roi de Danemark-, il ferait pour lui à
Paris ce qu'il aurait fait à Copenhague. « Quant à vos propres tableaux,
ajouta-t-il, vous devez être bien assuré, monsieur le comte, de tous les
soins que j'y mettrai. » Le ministre, homme positif, répondit que per-
sonne mieux que lui ne connaissait l'eau bénite de cour ; mais que son
avis était qu'un artiste jeune et bien portant devait penser à se faire une
fortune pour ses vieux ans.
Vien, peu faiseur d'embarras, et voulant d'ailleurs s'épargner l'ennui
de discuter des conseils contraires au parti qu'il avait pris, conseils qui
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
« Ce langage d'abord eut de la peine à être entendu ; je prêchais à
des jeunes gens qui voyaient faire d'une manière tout opposée à celle où
je voulais les conduire; mais à force de persévérance, ma voix perça
enfin, et je suis ■parvenu non sans peine, à détruire, j'ose le dire, le
mauvais goût qui régnait dans tous les arts. Combien il m'a fallu de
constance et de fermeté pour lutter continuellement contre des obstacles
sans cesse renaissants, pour écarter journellement les nuages dont on
s'efforçait de couvrir la vérité que je voulais mettre au grand jour! Heu-
reusement, j'étais d'un caractère ferme et inébranlable, et bien persuadé
que la route que je m'étais tracée était la seule qui pût conduire mes
élèves à la perfection de l'Art; jamais je ne les laissai s'écarter dans les
voies trop battues de l'erreur, et je parvins enfin à leur faire toucher le
but désiré de l'imitation fidèle de la nature. »
Sa réputation, du reste, franchissait les frontières, et les souverains
étrangers recherchaient ses œuvres et sa personne.
Le comte de Moltke, ministre du roi de Danemark, écrivit au jeune
maître pour lui commander pour son compte particulier cinq tableaux ;
il lui mandait en même temps : « Mais avant de vous parler pour moi,
il faut que je vous parle pour mon maître Frédéric V. Il désire vous avoir
auprès de lui; le récit qu'on lui a fait de vos talents et des qualités de
votre personne, ont déterminé son choix. D'ailleurs vous n'aurez affaire
qu'à Lui; il aime les arts et désire les introduire dans ses États par
tous les moyens possibles; Il m'a chargé de. vous offrir 24,000 livres par
an, et un logement dans un de ses palais. »
Vien refusa : il n'était pas ingrat ni cupide, et surtout il voulait
mener à bonne fin la mission qu'il s'était donnée de détruire par ses
enseignements le mauvais goût du jour. Il répondit qu'il était pénétré
de reconnaissance de la proposition qu'on voulait bien lui faire ; mais
que tout récemment le gouvernement français l'avait traité d'une manière
si distinguée, qu'il craindrait de passer pour un homme qui court au
plus offrant, et que ce n'était pas là sa façon d'être ; que si ses faibles
talents pouvaient être agréables au roi de Danemark-, il ferait pour lui à
Paris ce qu'il aurait fait à Copenhague. « Quant à vos propres tableaux,
ajouta-t-il, vous devez être bien assuré, monsieur le comte, de tous les
soins que j'y mettrai. » Le ministre, homme positif, répondit que per-
sonne mieux que lui ne connaissait l'eau bénite de cour ; mais que son
avis était qu'un artiste jeune et bien portant devait penser à se faire une
fortune pour ses vieux ans.
Vien, peu faiseur d'embarras, et voulant d'ailleurs s'épargner l'ennui
de discuter des conseils contraires au parti qu'il avait pris, conseils qui