GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
A9 h
Serment de Spartacus, apporte, il est vrai, deux statues décoratives, la
Religion et la Charité, destinées à un monument funéraire; mais ces deux
grandes figures, largement assises, amplement drapées, dans un sentiment
grandiose qui convient à la statuaire monumentale, ne nous révèlent
pourtant rien de nouveau sur le compte de l’artiste que l’on savait déjà
habile à manier les grandes masses d’argile, en véritable élève de Michel-
Ange. M. Cngnot ne fait qu’apparaître avec sa charmante Fileuse grecque,
comme un vaillant chanteur d’épopées qui se délasse à composer une
gracieuse idylle. MM. Carpeaux, Hiolle, Carrier-Belleuse, se trouvent
dans le même cas que M. Chapu et n’envoient que des cartes de présence,
sous forme de bustes. En revanche, deux victorieux d’autrefois, qui
n’entrent dans l’arène qu’à leurs heures et à leur gré, en hommes qui
doutent toujours d’eux-mêmes, MM. Guillaume et Paul Dubois sont sortis
cette année de leur retraite, et ces deux sculpteurs, connus jusqu’à pré-
sent surtout par des figures d’hommes et des statues drapées, reparais-
sent tout à coup au Salon, l’un avec une Eve: l’autre avec une Nymphe
du Parnasse ou Source de poésie.
Les rivaux que le succès rapide de M. Paul Dubois avait étonnés, les
curieux que ses adolescents, le petit Saint J e an-Baptiste et le Chanteur
florentin avaient autrefois ravis, attendaient le sculpteur à cette épreuve
décisive. Ces figurines populaires étaient charmantes, il est vrai; mais
c’était presque de la sculpture de genre, où l’élément expressif et l’élé-
ment pittoresque tenaient une assez grande place. Que deviendrait
l’artiste ému et fin, délicat et hésitant, en face d’une conception de sta-
tuaire pure, ne pouvant demander sa valeur qu’à la fermeté du style, à
la beauté des lignes, à la vérité des contours? M. Dubois eût pu répondre
qu’autrefois il avait exposé un Narcisse, dont l’attitude souple et gra-
cieuse avait enchanté plus d’un amateur; mais Narcisse est encore un
homme, ou, pour mieux dire, un adolescent. M. Paul Dubois a donné
satisfaction à tous, en prenant pour sujet poétique le type même de la
beauté éternelle, complète, féconde, la mère du genre humain. On a
comparé quelquefois M. Puvis de Chavannes et M. Paul Dubois; il y a
en effet quelque parenté entre ces deux esprits, rêveurs, nobles et
chastes, qui ont retrouvé, avec un charme de candeur singulière, le
secret des attitudes poétiques et des expressions naïves; mais l’avantage
est du côté du sculpteur, qui réalise plus puissamment ses rêves dans une
forme mieux définie. Avec cette disposition d’esprit tourné aux émotions
douces et durables, M. Paul Dubois ne devait donc chercher dans notre
mère commune ni la femme tentée, ni la femme coupable, ni la femme
punie. Son Eve naissante est encore vierge; aucune douleur ne l’a fié-
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Serment de Spartacus, apporte, il est vrai, deux statues décoratives, la
Religion et la Charité, destinées à un monument funéraire; mais ces deux
grandes figures, largement assises, amplement drapées, dans un sentiment
grandiose qui convient à la statuaire monumentale, ne nous révèlent
pourtant rien de nouveau sur le compte de l’artiste que l’on savait déjà
habile à manier les grandes masses d’argile, en véritable élève de Michel-
Ange. M. Cngnot ne fait qu’apparaître avec sa charmante Fileuse grecque,
comme un vaillant chanteur d’épopées qui se délasse à composer une
gracieuse idylle. MM. Carpeaux, Hiolle, Carrier-Belleuse, se trouvent
dans le même cas que M. Chapu et n’envoient que des cartes de présence,
sous forme de bustes. En revanche, deux victorieux d’autrefois, qui
n’entrent dans l’arène qu’à leurs heures et à leur gré, en hommes qui
doutent toujours d’eux-mêmes, MM. Guillaume et Paul Dubois sont sortis
cette année de leur retraite, et ces deux sculpteurs, connus jusqu’à pré-
sent surtout par des figures d’hommes et des statues drapées, reparais-
sent tout à coup au Salon, l’un avec une Eve: l’autre avec une Nymphe
du Parnasse ou Source de poésie.
Les rivaux que le succès rapide de M. Paul Dubois avait étonnés, les
curieux que ses adolescents, le petit Saint J e an-Baptiste et le Chanteur
florentin avaient autrefois ravis, attendaient le sculpteur à cette épreuve
décisive. Ces figurines populaires étaient charmantes, il est vrai; mais
c’était presque de la sculpture de genre, où l’élément expressif et l’élé-
ment pittoresque tenaient une assez grande place. Que deviendrait
l’artiste ému et fin, délicat et hésitant, en face d’une conception de sta-
tuaire pure, ne pouvant demander sa valeur qu’à la fermeté du style, à
la beauté des lignes, à la vérité des contours? M. Dubois eût pu répondre
qu’autrefois il avait exposé un Narcisse, dont l’attitude souple et gra-
cieuse avait enchanté plus d’un amateur; mais Narcisse est encore un
homme, ou, pour mieux dire, un adolescent. M. Paul Dubois a donné
satisfaction à tous, en prenant pour sujet poétique le type même de la
beauté éternelle, complète, féconde, la mère du genre humain. On a
comparé quelquefois M. Puvis de Chavannes et M. Paul Dubois; il y a
en effet quelque parenté entre ces deux esprits, rêveurs, nobles et
chastes, qui ont retrouvé, avec un charme de candeur singulière, le
secret des attitudes poétiques et des expressions naïves; mais l’avantage
est du côté du sculpteur, qui réalise plus puissamment ses rêves dans une
forme mieux définie. Avec cette disposition d’esprit tourné aux émotions
douces et durables, M. Paul Dubois ne devait donc chercher dans notre
mère commune ni la femme tentée, ni la femme coupable, ni la femme
punie. Son Eve naissante est encore vierge; aucune douleur ne l’a fié-