RUBENS.
*5
l’art vénérable de la portraiture. Fromentin, dans les Maîtres d'autrefois,
a traité cette grave question et il a dit, peut-être avec quelque sévérité,
que Rubens portraitiste ne lui inspire qu’une confiance restreinte. Parmi
les iconographes passionnés, plusieurs sont de son avis. Rubens est bien
loin des périodes candides où les peintres respectent absolument la per-
sonnalité du modèle et nous la livrent tout entière. 11 est un peu dis-
trait dans l’effigie historique, il n’y regarde pas d'assez près, il n’a pas
pour la nature individuelle tous les égards qui lui sont dus. Avouons-le,
le portrait d’Élisabeth de France n’est qu’à demi ressemblant : il est difficile
d’y reconnaître la fille de Henri 1Y : l’artiste, curieux de plaire, a corrigé
ce nez bourbonien qui était la caractéristique du visage du vert-galant.
On est presque tenté de douter de l’exactitude de la dénomination. Mais
la jeune femme a sur la tête une petite couronne, et c’est bien la reine
d’Espagne, la seule que Rubens ait pu connaître pendant son second
voyage, puisqu’elle fut l’épouse de Philippe IV de Î615 à 16hh.
Toutefois, si le portrait d'Elisabeth n’est pas éloquent au point de vue
de la ressemblance, il doit compter dans l’œuvre de Rubens, parce qu’il
est d’une délicatesse achevée, et que là du moins le maître n’a été aidé
par personne. La reine porte une robe verte et sa main pendante tient
un bouquet composé de lis, de jasmins et de roses. Cette main pâle, où
l’on voit courir sous la peau la liqueur vermeille d’un sang subtil, s’en-
lève sur le satin de la jupe avec une finesse inexprimable. C’est une
fleur de coloration et de lumière, un nouvel et merveilleux exemple du
modelé sans ombre. On n’a peut-être jamais attribué à ce portrait la va-
leur d’art qui le distingue. C’est un Rubens appliqué et de la plus rare
transparence.
Pendant son séjour à Madrid, le peintre flamand eut la satisfaction de
pouvoir étudier à son aise les œuvres d’un maître qui, aux jours de sa
jeunesse, l’avait singulièrement intéressé en Italie. Le palais du roi était
plein de tableaux de Titien. Ces peintures, justement fameuses, étaient
celles que le prince de l’école \énitienne avait faites pour Charles-Quint
et pour Philippe II, et elles brillent parmi ses plus nobles créations. En
s’arrêtant charmé devant ces toiles que revêt un ton d’ambre et d’or
fondu, Rubens refit mentalement le voyage d’Italie; il lui sembla revoir
Venise, et, cette fois, avec des yeux qui avaient tout à fait oublié les
noirceurs de Caravage. Entraîné par les séductions de la couleur, le
grand maître redevint écolier : à cinquante ans, et lorsqu’il avait déjà
produit tant de chefs-d’œuvre, il reprit, comme au temps de Mantoue,
le pinceau du copiste. Il existe à Madrid et ailleurs un certain nombre de
Titien copiés ou interprétés par Rubens, car on voit par plusieurs de ces
*5
l’art vénérable de la portraiture. Fromentin, dans les Maîtres d'autrefois,
a traité cette grave question et il a dit, peut-être avec quelque sévérité,
que Rubens portraitiste ne lui inspire qu’une confiance restreinte. Parmi
les iconographes passionnés, plusieurs sont de son avis. Rubens est bien
loin des périodes candides où les peintres respectent absolument la per-
sonnalité du modèle et nous la livrent tout entière. 11 est un peu dis-
trait dans l’effigie historique, il n’y regarde pas d'assez près, il n’a pas
pour la nature individuelle tous les égards qui lui sont dus. Avouons-le,
le portrait d’Élisabeth de France n’est qu’à demi ressemblant : il est difficile
d’y reconnaître la fille de Henri 1Y : l’artiste, curieux de plaire, a corrigé
ce nez bourbonien qui était la caractéristique du visage du vert-galant.
On est presque tenté de douter de l’exactitude de la dénomination. Mais
la jeune femme a sur la tête une petite couronne, et c’est bien la reine
d’Espagne, la seule que Rubens ait pu connaître pendant son second
voyage, puisqu’elle fut l’épouse de Philippe IV de Î615 à 16hh.
Toutefois, si le portrait d'Elisabeth n’est pas éloquent au point de vue
de la ressemblance, il doit compter dans l’œuvre de Rubens, parce qu’il
est d’une délicatesse achevée, et que là du moins le maître n’a été aidé
par personne. La reine porte une robe verte et sa main pendante tient
un bouquet composé de lis, de jasmins et de roses. Cette main pâle, où
l’on voit courir sous la peau la liqueur vermeille d’un sang subtil, s’en-
lève sur le satin de la jupe avec une finesse inexprimable. C’est une
fleur de coloration et de lumière, un nouvel et merveilleux exemple du
modelé sans ombre. On n’a peut-être jamais attribué à ce portrait la va-
leur d’art qui le distingue. C’est un Rubens appliqué et de la plus rare
transparence.
Pendant son séjour à Madrid, le peintre flamand eut la satisfaction de
pouvoir étudier à son aise les œuvres d’un maître qui, aux jours de sa
jeunesse, l’avait singulièrement intéressé en Italie. Le palais du roi était
plein de tableaux de Titien. Ces peintures, justement fameuses, étaient
celles que le prince de l’école \énitienne avait faites pour Charles-Quint
et pour Philippe II, et elles brillent parmi ses plus nobles créations. En
s’arrêtant charmé devant ces toiles que revêt un ton d’ambre et d’or
fondu, Rubens refit mentalement le voyage d’Italie; il lui sembla revoir
Venise, et, cette fois, avec des yeux qui avaient tout à fait oublié les
noirceurs de Caravage. Entraîné par les séductions de la couleur, le
grand maître redevint écolier : à cinquante ans, et lorsqu’il avait déjà
produit tant de chefs-d’œuvre, il reprit, comme au temps de Mantoue,
le pinceau du copiste. Il existe à Madrid et ailleurs un certain nombre de
Titien copiés ou interprétés par Rubens, car on voit par plusieurs de ces