Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (2.Pér. 30.1884)

CORRESPONDANCE D’ESPAGNE

L’EXPOSITION NATIONALE DES BEAUX-ARTS

A MADRID, EN 188 4

Il est de tradition, en Espagne, de ne
pas arriver à temps. La direction de l’In-
struction publique n’y a pas manqué, et
l’Exposition nationale des Beaux-Arts ne
s’est ouverte que vingt jours après la date
annoncée.

Les sept cent trente-quatre tableaux ex-
posés cette année témoignent dans leur en-
semble d’un progrès très considérable, sur-
tout dans le sens de ce qu’on est convenu
d’appeler la grande peinture. L’histoire
nationale à toutes ses époques, avec des
épisodes plus ou moins authentiques, la
vie romaine, les sujets littéraires, les su-
jets orientaux même foisonnent sur de
vastes toiles qui sont les plus importantes
de l’exposition. La peinture religieuse est,
par contre, en pleine décadence et com-
plètement délaissée du public. La peinture
de genre ne jouit elle-même que d’une mé-
diocre faveur. Le xviiC siècle est à peu
près oublié et les scènes de mœurs contemporaines sont rares; aucun artiste ne songe,
et pour cause, à représenter les courses de taureaux, ce sujet inépuisable en émotions,
victorieusement attaqué par Goya, puis négligé par les modernes, trop convaincus de
ses redoutables difficultés. Les derniers imitateurs de Fortunv ont disparu sous le coup
de la puissante réaction vers la peinture d’histoire qu’on observe parmi les jeunes. Le
portrait est assez mal tenu au palais du Retiro; mais, par contre, paysagistes et mari-
nistes tiennent haut et ferme leur drapeau dans ce pays abrupt et ensoleillé.

Cette exposition se distingue entre toutes par le nombre excessif des grands
tableaux qui s’y trouvent Trois toiles de mérites très divers se sont acquis dès les
premiers moments les suffrages de l’opinion. Elles sont marquées toutes les trois par
des qualités exceptionnelles.