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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
avec sa griffe — encagée dans un cadre de douze centimètres, — entre
les jambes des acteurs de la grande légende prussienne, de la glorieuse
et machiavélique épopée qu’il réveille çà et là de scènes du temps
dans leur âpre et rigoureuse vérité; évocations fantastiques, avec cette
pointe de caricature qui est le fond du génie de Menzel, se déroulant
dans leur magnifique unité. L’art allemand n’a rien produit d’aussi net
et d’aussi incisif. Dans le même ordre cyclique d’idées, nous pouvons
admirer les bois pour le Frédéric le Grand de Kugler et la collection,
représentant un travail colossal, des types en action de l’armée prus-
sienne.
Moins à l’étroit, et substituant l’exécution par grandes masses de
lumière à la belle propreté graphique des précédents, sont une douzaine
de bois, avec trois merveilleux rébus d’en-tête, pour le Blitzchlosser de
B. Auerbach, dans le V olkskalender de 1861. La plupart d’entre eux nous
représentent l’intimité bourgeoise et comme le contentement de vivre, à
la façon des Hollandais. La même habileté pénétrante et sans pose appa-
raît dans une poignée de curieuses fantaisies de commande : Invitation
éi un bal de cour, Invitation ci une chasse, Menu pour le banquet des vain-
queurs de 1866, surtout dans un Programme de matinée de charité,
fouillis de taches d’encre gribouillées, sorte de vue à pic de gens s’engouf-
frant emmitouflés sous la marquise d’un théâtre, avec la file des voitures,
par un temps de pluie ; ou encore un supplément du Graphie (9 septembre
1876), The Siesta, représentant un coin de parc l’été. La compagnie prend
le café, un chien s’épuce pour se distraire, un épais boursier à lunettes se
prélasse en un hamac ; telle est la scène familière que l’artiste a rendue
dans une réalité sans pose, avec humour, et enlevée, du premier coup,
d’une plume qui ne tâtonne pas, dans d’amusantes virtuosités de hachures.
La réunion des très nombreuses études, portraits au crayon, à l’aqua-
relle et à la gouache, la plupart accompagnés, gageure d’un résultat par-
fois inouï, de leur profil indiqué d’un trait, pour le grand tableau du Cou-
ronnement à Konigsberg (1861-65), sont du plus haut intérêt et d’une
force d’exécution absolument extraordinaire. Ces études, si vigoureuse-
ment construites sur la nature vivante, font, mieux encore que le tableau,
sentir toute la distance qui les sépare de la vaste et froide chromo officielle
de M. de Werner, représentant la Proclamation de l’Empire allemand à
Versailles, en 1871. Ces portraits de Menzel, d'une sobriété et d’une
sûreté de moyens qui a eu raison sans effort des caractéristiques les
plus subtiles, ont toute l’importance de documents historiques, écrits,
voulus, soulignés, bien qu’ils ne dussent servir, pour la plupart, qu’à
jeter à coup sûr et presque par taches des airs de têtes dans un tumulte
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
avec sa griffe — encagée dans un cadre de douze centimètres, — entre
les jambes des acteurs de la grande légende prussienne, de la glorieuse
et machiavélique épopée qu’il réveille çà et là de scènes du temps
dans leur âpre et rigoureuse vérité; évocations fantastiques, avec cette
pointe de caricature qui est le fond du génie de Menzel, se déroulant
dans leur magnifique unité. L’art allemand n’a rien produit d’aussi net
et d’aussi incisif. Dans le même ordre cyclique d’idées, nous pouvons
admirer les bois pour le Frédéric le Grand de Kugler et la collection,
représentant un travail colossal, des types en action de l’armée prus-
sienne.
Moins à l’étroit, et substituant l’exécution par grandes masses de
lumière à la belle propreté graphique des précédents, sont une douzaine
de bois, avec trois merveilleux rébus d’en-tête, pour le Blitzchlosser de
B. Auerbach, dans le V olkskalender de 1861. La plupart d’entre eux nous
représentent l’intimité bourgeoise et comme le contentement de vivre, à
la façon des Hollandais. La même habileté pénétrante et sans pose appa-
raît dans une poignée de curieuses fantaisies de commande : Invitation
éi un bal de cour, Invitation ci une chasse, Menu pour le banquet des vain-
queurs de 1866, surtout dans un Programme de matinée de charité,
fouillis de taches d’encre gribouillées, sorte de vue à pic de gens s’engouf-
frant emmitouflés sous la marquise d’un théâtre, avec la file des voitures,
par un temps de pluie ; ou encore un supplément du Graphie (9 septembre
1876), The Siesta, représentant un coin de parc l’été. La compagnie prend
le café, un chien s’épuce pour se distraire, un épais boursier à lunettes se
prélasse en un hamac ; telle est la scène familière que l’artiste a rendue
dans une réalité sans pose, avec humour, et enlevée, du premier coup,
d’une plume qui ne tâtonne pas, dans d’amusantes virtuosités de hachures.
La réunion des très nombreuses études, portraits au crayon, à l’aqua-
relle et à la gouache, la plupart accompagnés, gageure d’un résultat par-
fois inouï, de leur profil indiqué d’un trait, pour le grand tableau du Cou-
ronnement à Konigsberg (1861-65), sont du plus haut intérêt et d’une
force d’exécution absolument extraordinaire. Ces études, si vigoureuse-
ment construites sur la nature vivante, font, mieux encore que le tableau,
sentir toute la distance qui les sépare de la vaste et froide chromo officielle
de M. de Werner, représentant la Proclamation de l’Empire allemand à
Versailles, en 1871. Ces portraits de Menzel, d'une sobriété et d’une
sûreté de moyens qui a eu raison sans effort des caractéristiques les
plus subtiles, ont toute l’importance de documents historiques, écrits,
voulus, soulignés, bien qu’ils ne dussent servir, pour la plupart, qu’à
jeter à coup sûr et presque par taches des airs de têtes dans un tumulte