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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 30.1884

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Nr. 1
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Ephrussi, Charles: Exposition d'œuvres de maîtres anciens, 3: tirées des collections privées de Berlin en 1883
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https://doi.org/10.11588/diglit.24584#0110

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98

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

à gauche, une ruine habitée; sur le devant une charrette et des paysans. L’influence des
Flamands est très marquée, l’exécution est encore celle d’un habile décorateur, cher-
chant l’effet par les voies rapides et s’appuyant sur certains procédés de la facture de
Teniers. On y reconnaît peut-être les dernières traces de cps habitudes de travail trop
pressé, contractées par le jeune peintre lorsqu’il était employé chez un marchand de
tableaux à la grosse du Pont-Neuf. « On débitait dans ce tems-là, dit Gersaint,
beaucoup de petits portraits et de sujets de dévotion aux marchands de province, qui
les achetoient à la douzaine ou à la grosse. Le peintre chez lequel il venoit d’entrer
étoit le plus achalandé... Il avoit quelquefois une douzaine de misérables élèves qu’il
occupoit comme des manœuvres; le seul mérite qu’il exigeeit de ses compagnons
étoit la prompte exécution... Watteau avoit surtout le talent de rendre si bien son
Saint Nicolas, qui étoit un saint qu’on demandoit souvent, qu’on le réservoit parti-
culièrement pour lui : Je sçavois, me dit-il un jour, mon saint Nicolas par cœur et
je me passois d'original. »

Watteau arrive à son véritable style, au genre qui l’a immortalisé, aux pein-
tures de fêtes galantes, de divertissements champêtres, d'amoureux passe-temps avec
un tableau du Nouveau Palais à Potsdam, les Bergersi, dont la facture rappelle
encore Teniers, notamment dans la figure du vieux musicien, mais où le maître,
quoique loin de son apogée, se révèle cependant tout entier avec ses qualités prin-
cipales : liberté du dessin, puissance de la coloration, grâce exquise d’arrangement et
aussi avec quelques défauts, maladresse de certains mouvements, type d’une conven-
tion trop accusée (la tète de femme au museau de souris), et incurie de la palette.
Ce dernier défaut, qui a pu nuire à la conservation de plus d’une œuvre de Watteau,
est relevé avec un excès de sévérité par le comte de Caylus dans la Notice si heu-
reusement retrouvée par M. Ed. de Goncourt; « il étoit dans l’habitude, dit Caylus,
quand il reprenoit un tableau, de le frotter indifféremment d’huile grasse et de
repeindre par-dessus. Cet avantage momentané a, par la suite, fait un tort consi-
dérable à ses tableaux; à quoi a encore beaucoup contribué une certaine malpropreté
de pratique qui a dû faire tourner ses couleurs. Rarement il nettoïait sa palette et étoit
souvent plusieurs jours sans la charger. Son pot d’huile grasse, dont il faisoit un si
grand usage, étoit rempli d’ordure et de poussière et mêlé de toutes sortes de cou-
leurs qui sortaient de ses pinceaux à mesure qu’il les y trempoit. » Sans prendre au
pied de la lettre ce rude réquisitoire de Caylus contre la palette de Watteau, on peut
attribuer à cette négligence, et plus encore à l’usage de mauvais ingrédients, le lamen-
table état de quelques-uns des beaux morceaux du maître.

L'Amour paisible (à l’Exposition) marque une étape décisive; il y a progrès par-
tout : dans la conception même du sujet, les personnages n’étant plus des bergers de
convention ou des comédiens jouant une scène amoureuse, mais hommes et femmes
de bonne compagnie, en aimables costumes de fantaisie, sans perruque ni poudre,
s’abandonnant nonchalamment aux charmes de la vie voluptueuse; progrès dans la
gracieuse et juste expression des gestes, dans la fine individualité des têtes, de celle,
entre autres, du beau joueur de luth, habillé de rose, qui pourrait être un portrait
idéalisé de Watteau lui-même encore jeune; progrès dans l’aisance fluide d’un pinceau
habile à rendre toutes les délicatesses des plis menus d’un léger taffetas desoie; pro-
grès enfin dans un fond de parc fait du premier coup à larges traits, non sans un sou-

1. Une édition plus mûrie de ce tableau se trouve dans la collection de Mgr le duc d’Aumale, à
Chantilly ; elle a été gravée par Tardieu sous ce titre : Les Plaisirs pastorals.
 
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