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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 30.1884

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Nr. 1
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Ephrussi, Charles: Exposition d'œuvres de maîtres anciens, 3: tirées des collections privées de Berlin en 1883
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https://doi.org/10.11588/diglit.24584#0112

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

gravé du maître. Comme tout virtuose, Watteau a ses ressources usuelles, ses expé-
dients qui allègent la besogne, ses trucs, plus faciles à découvrir dans ce tableau
qui, n’étant point achevé, fournit d’autant mieux de sures indications sur sa ma-
nière de préparer et d’ébaucher sa toile. Avant tout, il couvre d’un ton local défini
un morceau de la surface, sans se préoccuper des contours; puis vivement et har-
diment, d’un plein pinceau trempé dans une couleur liquide, il dessine les lumières;
ensuite viennent les ombres, traitées par le même procédé en un ton plus foncé;
enfin, quelques traits verts et quelques empâtements dans les plis principaux pour
caractériser les chatoiements de l’étoffe changeante, et le vêtement est achevé sauf
quelques glacis. Ceux-ci, qui manquent dans notre tableau, sont en général rendus
à l’aide d’une matière liquéfiée et transparente, grâce à laquelle il obtient cette puis-
sance de lumière et cette légèreté de demi-teintes qu’on admire dans ses bonnes pro-
ductions. Pour les carnations, il préfère une préparation de tons épais et consistants;
il y appose de petites touches hardies et « galantes » qui forment autant de points lumi-
neux sur les saillies du visage, comme le nez, les pommettes, les bouts d’oreille, reliés
entre eux par de légères demi-pâles. Pour les contours des chairs il emprunte à
Rubens son trait de puissant rose ou rouge brun, luisant sous la couche de pâte mince
qui le couvre sans le cacher. Quoiqu’il y manque la dernière main, VAssemblée dans
un parc appartient à la période médiane de la vie de Watteau et non à ses der-
nières années, où les figures deviennent plus élancées.

Watteau était admis à l’Académie royale de peinture et de sculpture depuis 1712,
mais il ne pouvait se résoudre à présenter le tableau réglementaire qui rendait l’admis-
sion définitive. Ce ne fut qu’en 1717 qu’il consentit à s’exécuter, intimidé par une
menace d’exclusion, et cette menace nous a valu l'Embarquement pour Cythère,
l’œuvre capitale du maître, celle où il a mis au service de sa magie poétique tous les
enchantements de sa palette.

« ... Le paradis de Watteau s'ouvre, dit M. Edmond de Goncourt1; c’est Cythère.
Sous un ciel peint des couleurs de l’été, la galère de Cléopâtre se balance à la rive.
L’onde est morte. Le bois se tait. De l’herbe au firmament, battant l’air sans haleine de
leurs ailes de papillon, un essaim de Cupidons vole, vole, qui se joue et danse, nouant
ici avec des roses les couples nonchalants, nouant là-haut la ronde des baisers de la
terre montés au ciel. Ici est le temple, ici est la fin de ce monde : « l’Amour paisible »
du peintre, l’amour désarmé, assis à l’ombre, que le poète de Théos voulait graver sur
une douce coupe du printemps; une Arcadie soucieuse; un Décaméron de sentiment;
un recueillement tendre; des attentions au regard vague; des paroles qui bercent
l’âme; une galanterie platonique, un loisir occupé du cœur; une oisiveté de jeune
compagnie; une cour d’amoureuses pensées; la courtoisie émue et badine de jeunes
mariés penchés sur le bras qu’ils se donnent; des yeux sans fièvre, des enlacements
sans impatience, des désirs sans appétits, des voluptés sans désirs, des audaces de
gestes réglées pour le spectacle comme un ballet, et des défenses tranquilles et dé-
daigneuses de hâte en leur sécurité; le roman du corps et de la tête apaisé, pacifié,
ressuscité, bienheureux; une paresse de passion dont rient d’un rire de bouc les
satyres de pierre embusqués dans les coulisses vertes... Adieu les bacchanales que
menait Gillot, ce dernier païen de la Renaissance, né des libations de la pléiade aux
dieux agrestes d’Arcueil! Adieu l’Olympe du Io Pœan, les chalumeaux enroués et les

1. L’Art au ivm' siècle, 1er fascieule, Watteau. Paris, Quantin, 1880.

U. B. HEIDELBWG
 
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