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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
rieux et tendre. L’idéal n’a pas cessé d’être sévère, mais il est tempéré
par une grâce adorable. L’exécution est superbe et fine, avec des ca-
resses d’outil qui disent bien que l’école croit déjà au modelé, qu’elle
cherche l'expression adoucie, qu’elle veut envelopper les formes dans
les délicatesses d’une pensée. Le xve siècle ne s’annonce point encore;
je veux dire que la physionomie n’est pas individuelle, quelle reste
lidèle au type consacré, que le sentiment n’est pas poursuivi à outrance,
et que, maintenu par un goût suprême, il s’arrête à moitié chemin du
sourire définitif. Ce monument est de premier ordre dans l’histoire de la
sculpture française : il enseigne que, malgré la dureté des temps, le
xive siècle avait l’âme tendre ; la douceur, partout menacée et proscrite,
s’était réfugiée dans l’art.
Deux superbes bronzes empruntés à la collection de M. Basilewski
nous diront ce que fut le xve siècle italien : ils nous éclaireront du moins
sur l’un des caractères de son idéal, qui a été étrangement compliqué.
Le premier de ces bronzes représente un petit génie tenant une corne
d’abondance : il est tout à fait dans le style de Donatello, et nous ne
sommes pas surpris qu’il lui soit attribué. Le second, qu’on se rappelle
avoir vu à l’Exposition de 1878, est Y Enfant à l’escargot, une œuvre
où la grâce est très farouche, où le sentiment de la forme vivante s’ac-
commode d’une certaine laideur exaltée. Ce bronze est de l’école de
Padoue. Le modelé est très ressenti, saccadé même et violent; mais il
V a , dans cette œuvre étrange et forte, un admirable sentiment de la vie
exubérante.
La figure équestre de Jeanne Darc, prêtée par M. Odiot, appartient à
un art bien inférieur ; elle a déjà paru dans plus d’une exposition, mais
c’est là une production française, et elle nous intéressera toujours.
L’œuvre n’est pas tout à fait contemporaine de la Pucelle ; au point de
vue iconographique, on n’y saurait voir un portrait, le portrait qui nous
manque et que la France devrait payer bien cher si elle le rencontrait
jamais. D’après les détails de l’armure, le bronze est de trente à qua-
rante ans postérieur à la mort de Jeanne, et il est trop naïf pour être d’un
artiste de premier ordre. Cette statuette nous prouve que, sous Louis XI,
on pensait encore à la libératrice. A la fin du règne de Charles VII, il
s’était produit, en faveur de Jeanne Darc, un renouveau de popularité,
car c’est en 1/i58 que fut élevé, sur le pont d’Orléans, le monument si
malheureusement perdu où elle était figurée à genoux avec le roi devant
la Vierge debout et embrassant les pieds du Christ. Le bronze de M. Odiot
pourrait être à peu près de la même époque ; mais, je l’ai dit, il est d’un
maître qui avait plus de bonhomie que de force réelle, et qui, vivant
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rieux et tendre. L’idéal n’a pas cessé d’être sévère, mais il est tempéré
par une grâce adorable. L’exécution est superbe et fine, avec des ca-
resses d’outil qui disent bien que l’école croit déjà au modelé, qu’elle
cherche l'expression adoucie, qu’elle veut envelopper les formes dans
les délicatesses d’une pensée. Le xve siècle ne s’annonce point encore;
je veux dire que la physionomie n’est pas individuelle, quelle reste
lidèle au type consacré, que le sentiment n’est pas poursuivi à outrance,
et que, maintenu par un goût suprême, il s’arrête à moitié chemin du
sourire définitif. Ce monument est de premier ordre dans l’histoire de la
sculpture française : il enseigne que, malgré la dureté des temps, le
xive siècle avait l’âme tendre ; la douceur, partout menacée et proscrite,
s’était réfugiée dans l’art.
Deux superbes bronzes empruntés à la collection de M. Basilewski
nous diront ce que fut le xve siècle italien : ils nous éclaireront du moins
sur l’un des caractères de son idéal, qui a été étrangement compliqué.
Le premier de ces bronzes représente un petit génie tenant une corne
d’abondance : il est tout à fait dans le style de Donatello, et nous ne
sommes pas surpris qu’il lui soit attribué. Le second, qu’on se rappelle
avoir vu à l’Exposition de 1878, est Y Enfant à l’escargot, une œuvre
où la grâce est très farouche, où le sentiment de la forme vivante s’ac-
commode d’une certaine laideur exaltée. Ce bronze est de l’école de
Padoue. Le modelé est très ressenti, saccadé même et violent; mais il
V a , dans cette œuvre étrange et forte, un admirable sentiment de la vie
exubérante.
La figure équestre de Jeanne Darc, prêtée par M. Odiot, appartient à
un art bien inférieur ; elle a déjà paru dans plus d’une exposition, mais
c’est là une production française, et elle nous intéressera toujours.
L’œuvre n’est pas tout à fait contemporaine de la Pucelle ; au point de
vue iconographique, on n’y saurait voir un portrait, le portrait qui nous
manque et que la France devrait payer bien cher si elle le rencontrait
jamais. D’après les détails de l’armure, le bronze est de trente à qua-
rante ans postérieur à la mort de Jeanne, et il est trop naïf pour être d’un
artiste de premier ordre. Cette statuette nous prouve que, sous Louis XI,
on pensait encore à la libératrice. A la fin du règne de Charles VII, il
s’était produit, en faveur de Jeanne Darc, un renouveau de popularité,
car c’est en 1/i58 que fut élevé, sur le pont d’Orléans, le monument si
malheureusement perdu où elle était figurée à genoux avec le roi devant
la Vierge debout et embrassant les pieds du Christ. Le bronze de M. Odiot
pourrait être à peu près de la même époque ; mais, je l’ai dit, il est d’un
maître qui avait plus de bonhomie que de force réelle, et qui, vivant