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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
position de 1861 et qui, après tant d’années, nous charme encore. C’est
un disque légèrement concave, qui appartient, comme autrefois, à
M. d’Iquelon et dont le motif figure le groupe légendaire de saint Nico-
las en compagnie des trois enfants. La question de la personnalité des
émailleurs limousins étant fort peu débrouillée en ces temps candides,
nous avions dû nous contenter de rattacher à l’école des Pénicaud ce
beau plat où les figures s’enlèvent en blanc sur un fond grisâtre plutôt
que noir égayé d’un léger semis d’or. Depuis 1861, l’érudition a fait quel-
ques progrès : on tient aujourd’hui pour certain que le Saint Nicolas de
M. d’Iquelon est de Jean 111 Pénicaud. Ce vaillant artiste n’est pas encore
très nettement précisé quant aux dates ; mais son œuvre le place à un
beau moment du xvie siècle : il aime les figures allongées à la Parmesan,
et il se plaît, avec un peu de manière, aux attitudes élégantes. Léon de
Laborde a très bien jugé Jean 111 Pénicaud, et c’est avec raison qu’il a
vanté ses blancs laiteux et ses rehauts d’or sobrement appliqués sur des
fonds noirâtres.
La marque P. R. est suffisamment connue. C’est celle de Pierre Rey-
mond, qui travailla de 153A à 158A, c’est-à-dire pendant cinquante ans.
Cet infatigable producteur a multiplié les émaux en grisaille où l’on voit,
dans un sentiment bien conforme à l'idéal du temps, des scènes reli-
gieuses ou mythologiques. Les carnations des personnages y sont revê-
tues d’un ton rose saumon qui s’exagère parfois jusqu’à l’invraisem-
blance. Pierre Reymond a souvent appliqué son talent à la décoration
d’une luxueuse vaisselle d’émail qui restait sans doute inutile et char-
mante sur le dressoir de la salle à manger. Grâce à M. Stein, nous
avons de lui, au palais des Consuls, une urne à deux anses représentant
Diane et Actéon, et deux salières qu’illustrent la Naissance d’Hercule et
sa Descente aux enfers. Au contingent fourni par Pierre Reymond il faut
joindre deux assiettes qui font partie d’une suite célèbre où se trouve
racontée, d’après des dessins raphaëlesques, la fabuleuse aventure de
Psyché. Ce sont là de belles œuvres et séduisantes dans leur harmonie
noire, blanche et rosée.
Ce grand art de l’émail, tel que l’ont entendu les vrais maîtres, n’a
guère survécu au xvie siècle. La décadence est triste comme une faillite
chez les Laudin et leurs derniers imitateurs. Il vaut mieux, puisque
aussi bien l’art doit rester notre préoccupation essentielle, passer brus-
quement à un autre chapitre.
L’exposition de Rouen s’est honorée en donnant asile à un certain
nombre de meubles de diverses époques. Les lacunes étant considérables,
il n’y a pas là matière à une étude méthodique : du reste, le musée du
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
position de 1861 et qui, après tant d’années, nous charme encore. C’est
un disque légèrement concave, qui appartient, comme autrefois, à
M. d’Iquelon et dont le motif figure le groupe légendaire de saint Nico-
las en compagnie des trois enfants. La question de la personnalité des
émailleurs limousins étant fort peu débrouillée en ces temps candides,
nous avions dû nous contenter de rattacher à l’école des Pénicaud ce
beau plat où les figures s’enlèvent en blanc sur un fond grisâtre plutôt
que noir égayé d’un léger semis d’or. Depuis 1861, l’érudition a fait quel-
ques progrès : on tient aujourd’hui pour certain que le Saint Nicolas de
M. d’Iquelon est de Jean 111 Pénicaud. Ce vaillant artiste n’est pas encore
très nettement précisé quant aux dates ; mais son œuvre le place à un
beau moment du xvie siècle : il aime les figures allongées à la Parmesan,
et il se plaît, avec un peu de manière, aux attitudes élégantes. Léon de
Laborde a très bien jugé Jean 111 Pénicaud, et c’est avec raison qu’il a
vanté ses blancs laiteux et ses rehauts d’or sobrement appliqués sur des
fonds noirâtres.
La marque P. R. est suffisamment connue. C’est celle de Pierre Rey-
mond, qui travailla de 153A à 158A, c’est-à-dire pendant cinquante ans.
Cet infatigable producteur a multiplié les émaux en grisaille où l’on voit,
dans un sentiment bien conforme à l'idéal du temps, des scènes reli-
gieuses ou mythologiques. Les carnations des personnages y sont revê-
tues d’un ton rose saumon qui s’exagère parfois jusqu’à l’invraisem-
blance. Pierre Reymond a souvent appliqué son talent à la décoration
d’une luxueuse vaisselle d’émail qui restait sans doute inutile et char-
mante sur le dressoir de la salle à manger. Grâce à M. Stein, nous
avons de lui, au palais des Consuls, une urne à deux anses représentant
Diane et Actéon, et deux salières qu’illustrent la Naissance d’Hercule et
sa Descente aux enfers. Au contingent fourni par Pierre Reymond il faut
joindre deux assiettes qui font partie d’une suite célèbre où se trouve
racontée, d’après des dessins raphaëlesques, la fabuleuse aventure de
Psyché. Ce sont là de belles œuvres et séduisantes dans leur harmonie
noire, blanche et rosée.
Ce grand art de l’émail, tel que l’ont entendu les vrais maîtres, n’a
guère survécu au xvie siècle. La décadence est triste comme une faillite
chez les Laudin et leurs derniers imitateurs. Il vaut mieux, puisque
aussi bien l’art doit rester notre préoccupation essentielle, passer brus-
quement à un autre chapitre.
L’exposition de Rouen s’est honorée en donnant asile à un certain
nombre de meubles de diverses époques. Les lacunes étant considérables,
il n’y a pas là matière à une étude méthodique : du reste, le musée du