GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
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et jeter pêle-mêle, ossements et cadavres, clans une fosse creusée secrè-
tement au cimetière du château. Dès le malin, le bruit de cette profana-
tion à huis clos se répand en ville; une véritable émeute éclate chez ces
braves gens, fiers de leurs grands souvenirs et fidèles aux anciens bien-
faiteurs de la cité. La fermentation augmente d’heure en heure; le Con-
seil municipal, réuni à la hâte, en appelle au Directoire. Bref, on décide
d’accorder « satisfaction prompte et solennelle à l’opinion publique1 ».
L’exhumation immédiate est ordonnée ; on retrouve entiers les corps de
Claude et de François de Guise, noircis par le temps et couverts de terre;
ils étaient vêtus d’une étoffe de soie, et François, reconnaissable à sa
haute stature, portait encore sa balafre historique. « Pendant deux jours,
dit M. Feriel2, ils furent exposés au chœur de l’église Saint-Laurent, où
le peuple se portait en affluence. On prit leurs cheveux, on coupa des
morceaux de leurs vêtements, qu’on emporta comme autant de reliques.
Enfin, le 23 novembre, un convoi nombreux accompagna ces vénérables
restes à l’église Notre-Dame, où un service funèbre fut célébré. De là le
cortège se rendit à l’hôpital fondé par les princes de Guise, puis il vint
déposer religieusement leurs ossements dans le cimetière paroissial. »
C’est là que reposent, désormais confondus, les restes du sire de Join-
ville, de ses successeurs et des ducs de Guise.
Le Directoire avait dû céder, mais il allait prendre sa revanche. Quel-
ques jours après, le 27 novembre 1792, il adjugeait au sieur Berger, pour
le prix de quatre mille cent cinquante livres « l’église Saint-Laurent,
le cloître y attenant, la galerie, le logement du sonneur et la chapelle
des princes, tout ensemble, à la réserve des marbres qui sont dans ladite
église et du jeu d’orgues3 ». Tout fut impitoyablement démoli, le mau-
solée comme le reste ; il fallait bien le mettre en pièces pour laisser l’ac-
quéreur enlever la pierre qu’on lui avait vendue, et le Directoire arra-
cher de ces « sépultures fastueuses » le fer, le cuivre et le plomb récla-
més par le ministre de la guerre.
Dans ce bouleversement, quel fut le sort des statues et des bas-reliefs
qui, depuis deux siècles et demi, faisaient l’admiration des visiteurs?
Enlevées brutalement, sans précautions, à la hâte, par des ouvriers
insouciants, qui ne voyaient dans les plus beaux chefs-d’œuvre que des
blocs et des matériaux, les figures de Claude et d’Antoinette furent rom-
1. Registre du Conseil municipal; J. Feriel, Hist. de Joinville.
2. Hist. de Joinville. Voir aussi la lettre du maire L. Royer au préfet de la Haute-
Marne, en date du 13 mai 1818; ibid., appendice.
3. Ilevue de Champagne et Brie de déc. 1883 ; notice très intéressante,
signée II. G.
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et jeter pêle-mêle, ossements et cadavres, clans une fosse creusée secrè-
tement au cimetière du château. Dès le malin, le bruit de cette profana-
tion à huis clos se répand en ville; une véritable émeute éclate chez ces
braves gens, fiers de leurs grands souvenirs et fidèles aux anciens bien-
faiteurs de la cité. La fermentation augmente d’heure en heure; le Con-
seil municipal, réuni à la hâte, en appelle au Directoire. Bref, on décide
d’accorder « satisfaction prompte et solennelle à l’opinion publique1 ».
L’exhumation immédiate est ordonnée ; on retrouve entiers les corps de
Claude et de François de Guise, noircis par le temps et couverts de terre;
ils étaient vêtus d’une étoffe de soie, et François, reconnaissable à sa
haute stature, portait encore sa balafre historique. « Pendant deux jours,
dit M. Feriel2, ils furent exposés au chœur de l’église Saint-Laurent, où
le peuple se portait en affluence. On prit leurs cheveux, on coupa des
morceaux de leurs vêtements, qu’on emporta comme autant de reliques.
Enfin, le 23 novembre, un convoi nombreux accompagna ces vénérables
restes à l’église Notre-Dame, où un service funèbre fut célébré. De là le
cortège se rendit à l’hôpital fondé par les princes de Guise, puis il vint
déposer religieusement leurs ossements dans le cimetière paroissial. »
C’est là que reposent, désormais confondus, les restes du sire de Join-
ville, de ses successeurs et des ducs de Guise.
Le Directoire avait dû céder, mais il allait prendre sa revanche. Quel-
ques jours après, le 27 novembre 1792, il adjugeait au sieur Berger, pour
le prix de quatre mille cent cinquante livres « l’église Saint-Laurent,
le cloître y attenant, la galerie, le logement du sonneur et la chapelle
des princes, tout ensemble, à la réserve des marbres qui sont dans ladite
église et du jeu d’orgues3 ». Tout fut impitoyablement démoli, le mau-
solée comme le reste ; il fallait bien le mettre en pièces pour laisser l’ac-
quéreur enlever la pierre qu’on lui avait vendue, et le Directoire arra-
cher de ces « sépultures fastueuses » le fer, le cuivre et le plomb récla-
més par le ministre de la guerre.
Dans ce bouleversement, quel fut le sort des statues et des bas-reliefs
qui, depuis deux siècles et demi, faisaient l’admiration des visiteurs?
Enlevées brutalement, sans précautions, à la hâte, par des ouvriers
insouciants, qui ne voyaient dans les plus beaux chefs-d’œuvre que des
blocs et des matériaux, les figures de Claude et d’Antoinette furent rom-
1. Registre du Conseil municipal; J. Feriel, Hist. de Joinville.
2. Hist. de Joinville. Voir aussi la lettre du maire L. Royer au préfet de la Haute-
Marne, en date du 13 mai 1818; ibid., appendice.
3. Ilevue de Champagne et Brie de déc. 1883 ; notice très intéressante,
signée II. G.