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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 30.1884

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Nr. 4
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Yriarte, Charles: Les portraits de Lucrèce Borgia, [2]: à propos d'un portrait récemment découvert
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https://doi.org/10.11588/diglit.24584#0370

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

3 hh

— (N’oublions pas que c’est une femme qui parle, et une femme jalouse,
qui assure que sa maîtresse, clans ce combat, est sûre cle remporter le
prix) : « E spero a tal riguardo noi porteremo il palio nella casa délia mia
padrona. » C’est-à-dire : « quant à la beauté, à nous le pompon! »

Ce mot intraduisible dans sa grâce « Dolce ciera » — (Doux visage
est bien froid) — restera le mot définitif. Après avoir tout lu, tout com-
pulsé, fureté dans tous les sens, interrogé les images anonymes, comparé
les récits et fait la part des circonstances et des choses, nous pensons
que c’est encore la dame de Cotrone qui aura dit le vrai mot. Je vois
Lucrèce « ronde » (comme disent les peintres), à face pleine, sans traits
bien définis, avec de grands yeux blancs, très ouverts, très loin des sour-
cils, mollement dessinés en amande; un front lisse très découvert, le
menton fuyant (très en retraite, dans les dix premières années de sa vie
de femme, plus tard arrondi et « ingrassato »). De tout cela il résulte, au
physique, la même physionomie qu’au moral ; c’est-à-dire quelque chose
de doux, de mou, sans volonté, sans' élan, sans joies exaltées et sans
colères terribles, une femme sans nerfs, incapable de réagir contre le
sort, qui fait d’elle, entre Alexandre et César, un instrument trop docile.

A Rome, enfant, on la conduit par la main aux orgies célèbres dans
rhistoire ; elle ouvre ses grands yeux blancs et ne comprend rien à ces
saturnales; jeune fdle, on fait d’elle la rançon d’un duché ou d’un trône;
et cette main ornée de l’anneau pontifical, qui, les deux doigts levés, lie
et délie ceux que l’Eglise a unis, la promènera du lit d’Alphonse au lit de
Sforza, puis au lit d’Este, à travers une mare de sang. Mais, le jour où
Alexandre est mort, où César est tombé en Navarre, elle devient et reste
jusqu’à la mort la « perle des épouses », la a triomphante princesse » que
le chevalier Bayard a connue et exaltée. Alphonse d’Este, son mari, court
le guilledou. — « 11 signor Don Alfonso, il di, va a piacere in diverse loci
corne giovane, il quale, dice sua santità, fa molto bene. » — Du moment
qu’il a l’approbation du saint-père, tout est régulier, « maxime (dit l’am-
bassadeur Costabili en écrivant au duc de Ferrare) intendendo che conti-
nuano dormire insieme la nolte ». A peine, en dix-huit années, pourra-
t-on lui reprocher une amourette de poète et sept billets doux, ceux au
cardinal Bembo ; des lettres que toutes les Anglaises vont lire, sans éven-
tail, et qui sont traduites dans toutes les langues. — Voilà bien du bruit
pour un Flirt au xvie siècle! On oublie que, quelques années avant,
Sigismond Malatesta, le parent et voisin, se précipitait sur les belles
dames qui lui plaisaient et les tuait après les avoir violées.

Lucrèce a « dolce ciera », elle laisse faire et demande la paix à tout
prix; Catherine Sforza, à sa place, eût corrigé la destinée et violé le sort;
 
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