LA MINIATURE EN FRANCE DU XIII- AU XVIe SIÈCLE. 371
scrits, suit tout naturellement la destinée de l’écriture; il s’altère sous
l'influence de la vogue naissante de l’imprimerie. Les lettrines conser-
vent une apparence de grand luxe : l’or, les couleurs vives, les sujets
historiés y brillent encore ; mais les traits essentiels du caractère se
corrompent. La majuscule gothique déformée, au lieu de rinceaux, de
filigranes, de fleurons, se pare de profils grotesques, de figures grima-
çantes, de feuillages grossiers, et son coloris même oublie souvent les
lois de l’élégance. Parfois il est entièrement supprimé, et alors la plume,
seule maîtresse du terrain, se livre aux écarts les plus capricieux; elle
enfante des déliés et des tire-bouchons qui n’ont plus rien de commun
avec le bon goût. Ce genre bizarre d’initiale, importé par les calligraphes
de Charles VIII chez les Italiens, a reçu de ceux-ci le nom de lettera
francese. Cependant l’affranchissement de toute règle amène, dans le
nombre, quelques innovations heureuses. M. Edouard Fleury a signalé
les lettres à relief, dont les traits et les ornements projettent leur ombre
sur le champ coloré qui leur sert de fond; c’est une variété souvent
imitée dans l’art et dans la typographie modernes.
Pour la miniature, plusieurs causes réunies l’amènent sur la pente
de la décadence. La propagation de l’imprimerie est encore du nombre :
le manuscrit tout entier s’efface peu à peu devant le livre à caractères
moulés et tombe au second rang; le grand art se réfugie ailleurs. Puis
la xylographie s’empare de l’illustration, et de cette façon le poncif ou
le patron tout fait, qui avait déjà pénétré chez les enlumineurs gothiques,
se substitue sur une plus large échelle à l’initiative et au génie de
l’artiste; l’immobilisation des formes arrête l’invention et l’émulation.
Dès le xve siècle, tandis que de grands peintres s’exercaient dans la
miniature, d’habiles praticiens en faisaient, pour ainsi dire, un produit
industriel, et de là des inégalités étonnantes dans les manuscrits du
temps. Ce fut bien pis quand les presses vinrent jeter dans un moule
uniforme et le texte et les images. Les imprimeurs, en effet, ne calquè-
rent pas seulement l’écriture : ils voulurent persuader le public que tout,
dans leurs livres, était fait à la main, la peinture comme le reste, et
vendre pour des œuvres originales des sujets reproduits par la gravure
sur bois, à peu près comme de nos jours la chromolithographie veut
contrefaire le travail du pinceau. Dans les célèbres heures de Simon
Yostre et de ses émules, imprimées aux environs de l’an 1500, tous les
éléments du manuscrit sont imités à s’y méprendre, les caractères, le
vélin, la disposition, l’ornementation. Quant aux miniatures, ce sont des
dessins dont le trait a d’abord été gravé en noir, et qui ont été ensuite
coloriés à la main pour produire plus d’illusion ; le procédé est d’autant
scrits, suit tout naturellement la destinée de l’écriture; il s’altère sous
l'influence de la vogue naissante de l’imprimerie. Les lettrines conser-
vent une apparence de grand luxe : l’or, les couleurs vives, les sujets
historiés y brillent encore ; mais les traits essentiels du caractère se
corrompent. La majuscule gothique déformée, au lieu de rinceaux, de
filigranes, de fleurons, se pare de profils grotesques, de figures grima-
çantes, de feuillages grossiers, et son coloris même oublie souvent les
lois de l’élégance. Parfois il est entièrement supprimé, et alors la plume,
seule maîtresse du terrain, se livre aux écarts les plus capricieux; elle
enfante des déliés et des tire-bouchons qui n’ont plus rien de commun
avec le bon goût. Ce genre bizarre d’initiale, importé par les calligraphes
de Charles VIII chez les Italiens, a reçu de ceux-ci le nom de lettera
francese. Cependant l’affranchissement de toute règle amène, dans le
nombre, quelques innovations heureuses. M. Edouard Fleury a signalé
les lettres à relief, dont les traits et les ornements projettent leur ombre
sur le champ coloré qui leur sert de fond; c’est une variété souvent
imitée dans l’art et dans la typographie modernes.
Pour la miniature, plusieurs causes réunies l’amènent sur la pente
de la décadence. La propagation de l’imprimerie est encore du nombre :
le manuscrit tout entier s’efface peu à peu devant le livre à caractères
moulés et tombe au second rang; le grand art se réfugie ailleurs. Puis
la xylographie s’empare de l’illustration, et de cette façon le poncif ou
le patron tout fait, qui avait déjà pénétré chez les enlumineurs gothiques,
se substitue sur une plus large échelle à l’initiative et au génie de
l’artiste; l’immobilisation des formes arrête l’invention et l’émulation.
Dès le xve siècle, tandis que de grands peintres s’exercaient dans la
miniature, d’habiles praticiens en faisaient, pour ainsi dire, un produit
industriel, et de là des inégalités étonnantes dans les manuscrits du
temps. Ce fut bien pis quand les presses vinrent jeter dans un moule
uniforme et le texte et les images. Les imprimeurs, en effet, ne calquè-
rent pas seulement l’écriture : ils voulurent persuader le public que tout,
dans leurs livres, était fait à la main, la peinture comme le reste, et
vendre pour des œuvres originales des sujets reproduits par la gravure
sur bois, à peu près comme de nos jours la chromolithographie veut
contrefaire le travail du pinceau. Dans les célèbres heures de Simon
Yostre et de ses émules, imprimées aux environs de l’an 1500, tous les
éléments du manuscrit sont imités à s’y méprendre, les caractères, le
vélin, la disposition, l’ornementation. Quant aux miniatures, ce sont des
dessins dont le trait a d’abord été gravé en noir, et qui ont été ensuite
coloriés à la main pour produire plus d’illusion ; le procédé est d’autant