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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 30.1884

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Nr. 5
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Renan, Ary: Joseph de Nittis
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https://doi.org/10.11588/diglit.24584#0436

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406

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

maire, et si vrai pourtant, soient sortis de la même main? N’est-ce pas que
la critique fut trompée par quelque chose dans la facture du peintre, par
le fait qu’il n’était pas enrégimenté dans l’armée des renégats, et qu’il
était impossible de lui appliquer, sans faire crier, ces grossières épi-
thètes qu’on lance aux pauvres hors cadre, impossible de parler d’inten-
tions et de tache, impossible, en un mot, de railler?

Un peintre comme De Nittis n’a-t-il pas un peu, dans son art, la place
d’un romancier dans le sien,... faisant vivre d’une vie à chaque fois nou-
velle des types en apparence identiques, et, pour ce faire, choisissant
dans l’espace un cadre et dans le temps une année, un jour, — que dis-je!
une heure, le cadre et l'heure où ses personnages ont tout le caractère et
rien que le caractère qui leur appartient proprement? Tandis que la vie
d’un héros semble, en esthétique, être constamment héroïque, celle de
l’individu vulgaire qui nous coudoie, — et notre individu même, —
n’arrive que rarement à son maximum d’intensité, et, pour ainsi dire,
d’identité. Et le décor inanimé a aussi de ces heures privilégiées, où il
cesse d’être muet tout à fait et fait sa partie dans le concert. Mais c’est
justement tout ce que le nonvellier ne saurait rendre qui est du domaine
légitime de l’artiste. Voyez comme De Nitiis excelle à rendre, non pas
seulement la lumière d’un pays, mais la température d’une journée,
attendue par lui, voulue, poursuivie, — une certaine gelée, une certaine
pluie, un certain jour brumeux ou blafard. Voyez comme il donne au
home, au cadre domestique d’une délicate figure de femme, que vous re-
connaissez, que vous avez vue la veille peut-être, la température morale
qui convient et que vous êtes habitué de rencontrer chez elle.

Ce sont ces petites et subtiles finesses qui font de lui l’artiste qu’il est.
La Place des Pyramides, encore une fois, et le Pont de Westminster,
cela est plus que cela ne paraît être ; cela dépasse en signification le titre
que porte le catalogue : c’est l’imprévu, le changeant, le fuyant délimité
sans être figé; c’est le mouvement moderne fixé sans être ralenti. Et ce
doit être tout cela pour mériter le nom d’art. Il est un art qui vit de la
lecture des bons auteurs et de l’imitation des grandes traditions; il en est
un autre qui vit de distractions, d’apparente frivolité, et d une sympathie
attractive pour le monde extérieur, pour l’enveloppe des choses quoti-
diennement changeantes et éternellement identiques.

A. RENAN.
 
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