REVUE MUSICALE.
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sonncl, la science technique, devoir commun. Là est contenue toute la loi;
hors de là, il n’y a rien, rien, rien, et la mode et la critique n’y changeront
quoi que ce soit. »
IL
Nous voulons aujourd’hui nous tenir dans les généralités, et, pour cette
fois, nous ne nous occuperons que de la musique dramatique, ou, pour mieux
dire, de la musique au théâtre.
Le moment est propice à la critique; nulle part plus qu’au théâtre n’ap-
paraît le néant des théories actuelles en matière de composition. « On a pris
la fâcheuse habitude de croire que là où il y a des sons musicaux, il y a
nécessairement de la musique. Autant vaudrait dire qu’il y a littérature par-
tout où l’on bavarde, peinture partout où l’on barbouille. » Cette judicieuse
observation de M. Saint-Saëns trouve son application dans divers opéras mo-
dernes que je crois inutile de nommer; le lecteur fera facilement appel à ses
souvenirs personnels.
Les compositeurs, égarés par des tendances de facture qui sont en conlra-
diction formelle avec la nécessité de l’action théâtrale, gaspillent leur talent
en pure perte. Le public se refuse à les suivre ; il tient aux traditions, non
par routine, mais parce qu’elles ont pour elles la sanction constante du suc-
cès. On ne fait rien de bon en dehors d’elles; l’événement l’a prouvé. En
Allemagne même, le grand réformateur de la musique n’a pu implanter soli-
dement au théâtre que celles de ses œuvres qui sont conçues dans les données
anciennes.
Détracteur du système en vigueur, nous ne prétendons nullement faire
l’apologie des systèmes d’autrefois; nous croyons nous être assez clairement
exprimé à ce sujet. Mais autre chose est de recommander le respect de tradi-
tions qui n’entravent en rien la liberté du compositeur, ou d’imposer une
façon d’écrire qui renferme sa pensée dans des bornes infranchissables. En
parlant de tradition, nous entendons ne nous occuper que des traditions de
mise en scène musicale, et non de l’essence même de la composition.
Pénétrés de l’idée que la musique de théâtre est soumise aux mêmes sujé-
tions de facture que l’art dramatique, les anciens n’hésitaient pas à adopter
certaines divisions déterminées à l’avance et qui répondent exactement à des
divisions analogues que l’évolution d’une pièce de théâtre amène presque
toujours dans la situation des personnages en scène. Loin d’enchaîner le déve-
loppement de la pensée, ces divisions l’astreignent à prendre une forme pré-
cise, à avoir un commencement et une lin, à se résumer en un tout expressif
pour constituer une entité artistique pouvant être détachée de l’œuvre mère
sans perdre beaucoup de sa valeur. Les compositeurs modernes se refusent
fièrement à jeter leurs inspirations dans ces moules de convention. On per-
drait son temps à vouloir leur démontrer que la qualité d’une liqueur ne
dépend pas de la forme du vase.
Et cependant les cantabile d’autrefois et les morceaux concertants à deux
ou plusieurs voix, outre qu’il sont le privilège de charmer l’oreille quand ils sont
convenablement exécutés, satisfont aux règles primordiales de cet art pour
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sonncl, la science technique, devoir commun. Là est contenue toute la loi;
hors de là, il n’y a rien, rien, rien, et la mode et la critique n’y changeront
quoi que ce soit. »
IL
Nous voulons aujourd’hui nous tenir dans les généralités, et, pour cette
fois, nous ne nous occuperons que de la musique dramatique, ou, pour mieux
dire, de la musique au théâtre.
Le moment est propice à la critique; nulle part plus qu’au théâtre n’ap-
paraît le néant des théories actuelles en matière de composition. « On a pris
la fâcheuse habitude de croire que là où il y a des sons musicaux, il y a
nécessairement de la musique. Autant vaudrait dire qu’il y a littérature par-
tout où l’on bavarde, peinture partout où l’on barbouille. » Cette judicieuse
observation de M. Saint-Saëns trouve son application dans divers opéras mo-
dernes que je crois inutile de nommer; le lecteur fera facilement appel à ses
souvenirs personnels.
Les compositeurs, égarés par des tendances de facture qui sont en conlra-
diction formelle avec la nécessité de l’action théâtrale, gaspillent leur talent
en pure perte. Le public se refuse à les suivre ; il tient aux traditions, non
par routine, mais parce qu’elles ont pour elles la sanction constante du suc-
cès. On ne fait rien de bon en dehors d’elles; l’événement l’a prouvé. En
Allemagne même, le grand réformateur de la musique n’a pu implanter soli-
dement au théâtre que celles de ses œuvres qui sont conçues dans les données
anciennes.
Détracteur du système en vigueur, nous ne prétendons nullement faire
l’apologie des systèmes d’autrefois; nous croyons nous être assez clairement
exprimé à ce sujet. Mais autre chose est de recommander le respect de tradi-
tions qui n’entravent en rien la liberté du compositeur, ou d’imposer une
façon d’écrire qui renferme sa pensée dans des bornes infranchissables. En
parlant de tradition, nous entendons ne nous occuper que des traditions de
mise en scène musicale, et non de l’essence même de la composition.
Pénétrés de l’idée que la musique de théâtre est soumise aux mêmes sujé-
tions de facture que l’art dramatique, les anciens n’hésitaient pas à adopter
certaines divisions déterminées à l’avance et qui répondent exactement à des
divisions analogues que l’évolution d’une pièce de théâtre amène presque
toujours dans la situation des personnages en scène. Loin d’enchaîner le déve-
loppement de la pensée, ces divisions l’astreignent à prendre une forme pré-
cise, à avoir un commencement et une lin, à se résumer en un tout expressif
pour constituer une entité artistique pouvant être détachée de l’œuvre mère
sans perdre beaucoup de sa valeur. Les compositeurs modernes se refusent
fièrement à jeter leurs inspirations dans ces moules de convention. On per-
drait son temps à vouloir leur démontrer que la qualité d’une liqueur ne
dépend pas de la forme du vase.
Et cependant les cantabile d’autrefois et les morceaux concertants à deux
ou plusieurs voix, outre qu’il sont le privilège de charmer l’oreille quand ils sont
convenablement exécutés, satisfont aux règles primordiales de cet art pour