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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
un peu d’impatience. Je ne sais quand partira le jeune homme qui doit en être
porteur. Elle trouvera, dans le petit paquet, le dé de cette bonne amie, si affectueuse
pour elle...
A cette confidence, si pénible pour un père de famille vis-à-vis de
son gendre, M. Deval répond, comme la première fois, par un appel
de fonds et Prud’lion s’exécute sans un mot de plainte, sans une
nuance de reproche :
Paris, 27 mars -1822.
Mon cher Deval, j’étois déjà inquiet de ne pas recevoir de suite une réponse et
je craignois que trop d’indécision de votre part ne nuisit à vos intérêts. J’allois
donc vous écrire lorsque j’ai reçu votre lettre qui m’a tiré de là et je me suis pourvu
en conséquence. Vous pouvez, quand il vous plaira, tirer sur moi les trois mille
francs que vous attendez... Je regrette bien que ma chère Emilie me lasse une
demande à laquelle je ne puisse accéder. Je n’ai qu’un petit portrait, en miniature,
de l’amie qui m’est et me sera toujours si chère; cette image précieuse est de sa
main. Elle l’avoit fait pour son père et, par suite, elle me l’a donné. Vous devez
croire et Emilie doit bien penser que, tant que je vivrai, ce gage de son affection
ne peut me quitter...
De la patience! Vous savez, ou vous aurez souvent lieu de vous apercevoir que
l’effet, dans beaucoup de choses, ne suit que bien lentement le désir; que, même,
ce dernier se perd quelquefois dans un espoir qui est souvent déçu.
Adieu, mes chers amis, n’oubliez jamais que l'union donne le bonheur et qu’une
affection mutuelle l’entretient.
Ainsi se termine, surces paternels conseils, la lettre du 27 mars 1822,
qui est aussi la dernière de notre dossier. Nous eussions pu clore ici
notre article dont le but semble rempli. Mais les souvenirs émus que
les deux précédentes lettres consacrent à la mémoire de Mlle Mayer
reportent naturellement notre esprit sur la suprême douleur qui tua
Prud’hon. Nous croyons donc que le lecteur nous saura gré de lui
communiquer, en forme d’appendice, une pièce absolument inédite
où le peintre exhale ses regrets. A qui l’épître est-elle adressée?
M. Power, petit-fils de M. de Boisfremont, qui en possède la copie de
la main de son aïeul, n’a point su nous le dire. Elle est, en tous cas,
d’un sentiment admirable et peu importe le nom de la destinataire.
Paris, la août 1822.
Ma chère amie, lorsque la vérité quitte le vêlement mensonger de l’illusion et
se présente nue, le plus beau de ses charmes disparoit et l’on est surpris de trouver
à peine une foible trace du plaisir qu’on s’étoit promis. C’est le cas où vous êtes
dans ce moment. Malgré le déchet que vous éprouvez dans votre campagne, ma
position de ville est bien autrement fâcheuse. Le temps des illusions heureuses est
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
un peu d’impatience. Je ne sais quand partira le jeune homme qui doit en être
porteur. Elle trouvera, dans le petit paquet, le dé de cette bonne amie, si affectueuse
pour elle...
A cette confidence, si pénible pour un père de famille vis-à-vis de
son gendre, M. Deval répond, comme la première fois, par un appel
de fonds et Prud’lion s’exécute sans un mot de plainte, sans une
nuance de reproche :
Paris, 27 mars -1822.
Mon cher Deval, j’étois déjà inquiet de ne pas recevoir de suite une réponse et
je craignois que trop d’indécision de votre part ne nuisit à vos intérêts. J’allois
donc vous écrire lorsque j’ai reçu votre lettre qui m’a tiré de là et je me suis pourvu
en conséquence. Vous pouvez, quand il vous plaira, tirer sur moi les trois mille
francs que vous attendez... Je regrette bien que ma chère Emilie me lasse une
demande à laquelle je ne puisse accéder. Je n’ai qu’un petit portrait, en miniature,
de l’amie qui m’est et me sera toujours si chère; cette image précieuse est de sa
main. Elle l’avoit fait pour son père et, par suite, elle me l’a donné. Vous devez
croire et Emilie doit bien penser que, tant que je vivrai, ce gage de son affection
ne peut me quitter...
De la patience! Vous savez, ou vous aurez souvent lieu de vous apercevoir que
l’effet, dans beaucoup de choses, ne suit que bien lentement le désir; que, même,
ce dernier se perd quelquefois dans un espoir qui est souvent déçu.
Adieu, mes chers amis, n’oubliez jamais que l'union donne le bonheur et qu’une
affection mutuelle l’entretient.
Ainsi se termine, surces paternels conseils, la lettre du 27 mars 1822,
qui est aussi la dernière de notre dossier. Nous eussions pu clore ici
notre article dont le but semble rempli. Mais les souvenirs émus que
les deux précédentes lettres consacrent à la mémoire de Mlle Mayer
reportent naturellement notre esprit sur la suprême douleur qui tua
Prud’hon. Nous croyons donc que le lecteur nous saura gré de lui
communiquer, en forme d’appendice, une pièce absolument inédite
où le peintre exhale ses regrets. A qui l’épître est-elle adressée?
M. Power, petit-fils de M. de Boisfremont, qui en possède la copie de
la main de son aïeul, n’a point su nous le dire. Elle est, en tous cas,
d’un sentiment admirable et peu importe le nom de la destinataire.
Paris, la août 1822.
Ma chère amie, lorsque la vérité quitte le vêlement mensonger de l’illusion et
se présente nue, le plus beau de ses charmes disparoit et l’on est surpris de trouver
à peine une foible trace du plaisir qu’on s’étoit promis. C’est le cas où vous êtes
dans ce moment. Malgré le déchet que vous éprouvez dans votre campagne, ma
position de ville est bien autrement fâcheuse. Le temps des illusions heureuses est