VOYAGE DU CAVALIER BERNIN EN FRANCE.
179
d’ici mal satisfait. Je répondis à ceux qui m’en parlèrent comme je devais.
Hier au souper du Roi. il se fit, moi présent, quelques discours fort appro-
chants de cela. Au lever du Roi aujourd’hui, quelques-uns m’en ont encore
parlé, et étant allé ensuite au lever de Monsieur, il m’a dit tout bas à l’oreille
que le bruit courait que vous vous en étiez allé peu content des présents que
le Roi vous a faits, .l’ai répondu à S. A. R. que c’était la plus grande
injustice du monde que l’on vous faisait, et que vous étiez parti comblé des
marques d’estime et d’alfection que Sa Majesté vous avait données et des
bienfaits que vous et les vôtres aviez reçus d’elle. Il m’a reparti: Mais le Roi
croit qu’il s’en est allé mal satisfait, -l’ai répliqué à S. A. 1t. que c’était
l’ordinaire des esprits de la cour de rendre de ces bons offices, c’est-à-dire
de convertir tout en venin.
Pareille chose m’a été confirmée par M. le comte d’Albon, chevalier
d’honneur de Madame, et par M. l’abbé de Montaigu, qui se trouvaient hier,
lorsqu’on en parlait devant le Roi. Ceci étant tout notoire, j'ai cru devoir
vous en donner avis, et je vous conseille, Monsieur, d’écrire à M. de Lionne
ou à M. Colbert, et les prier d’assurer le Roi de votre part de la fausseté de
ces bruits et de lui bien exprimer les sentiments de votre reconnaissance
pour sa libéralité et son estime. Pardonnez à ma liberté, qui ne procède que
de zèle pour votre service, vous souhaitant au reste un bon voyage, et à moi
les moyens de vous témoigner combien je suis, etc.
Le 27 oclobiv I (>•><'>.
Monsieur,
.le vous ai mandé par le dernier ordinaire le bruit qui s’est répandu que
vous êtes parti mécontent, que Monsieur m’en avait parlé et m’avait dit que
le Roi en était persuadé. Le jour suivant, S. A. R. me le dit encore; et
insistant que cela ne pouvait être, Elle me répliqua que le Roi le savait d’une
part à n’en point douter.
Hier soir, Sa Majesté à son souper me demanda tout bas si cela était
vrai; je l’assurai que non, qu’au contraire je vous avais vu très satisfait de
l’honneur que vous aviez reçu, de l’estime que Sa Majesté vous avait fait
paraître et de ses bienfaits. Je lui dis même que je vous avais donné avis de
ces bruits, de sorte qu’il importe, Monsieur, que vous écriviez comme je vous
ai mandé, afin de détromper le Roi ; vous devez cela à l’estime et à l’affection
que Sa Majesté a pour vous. Au reste, je me réjouis des beaux jours qui vous
accompagnent et suis avec sincérité et de tout mon cœur, etc.
(Dans une lettre datée de Lyon, le 30 octobre 1GG5, le Cavalier ne fit pas
une réponse aussi explicite (pie M. de Chantelou l’aurait sans doute désirée.
Après l’avoir remercié de son amitié, il se borna à lui dire que « si Dieu
lui donnait vie, il ferait voir non en paroles mais en effets à Sa Majesté et au
monde entier combien il restait obligé et affectionné à un si grand roi ».
Cette lettre est suivie de quatre autres dans le manuscrit. Pour ne pas
interrompre le récit, nous les donnons toutes en note. A la fin de la seconde,
il annonce la mort de Poussin.)
179
d’ici mal satisfait. Je répondis à ceux qui m’en parlèrent comme je devais.
Hier au souper du Roi. il se fit, moi présent, quelques discours fort appro-
chants de cela. Au lever du Roi aujourd’hui, quelques-uns m’en ont encore
parlé, et étant allé ensuite au lever de Monsieur, il m’a dit tout bas à l’oreille
que le bruit courait que vous vous en étiez allé peu content des présents que
le Roi vous a faits, .l’ai répondu à S. A. R. que c’était la plus grande
injustice du monde que l’on vous faisait, et que vous étiez parti comblé des
marques d’estime et d’alfection que Sa Majesté vous avait données et des
bienfaits que vous et les vôtres aviez reçus d’elle. Il m’a reparti: Mais le Roi
croit qu’il s’en est allé mal satisfait, -l’ai répliqué à S. A. 1t. que c’était
l’ordinaire des esprits de la cour de rendre de ces bons offices, c’est-à-dire
de convertir tout en venin.
Pareille chose m’a été confirmée par M. le comte d’Albon, chevalier
d’honneur de Madame, et par M. l’abbé de Montaigu, qui se trouvaient hier,
lorsqu’on en parlait devant le Roi. Ceci étant tout notoire, j'ai cru devoir
vous en donner avis, et je vous conseille, Monsieur, d’écrire à M. de Lionne
ou à M. Colbert, et les prier d’assurer le Roi de votre part de la fausseté de
ces bruits et de lui bien exprimer les sentiments de votre reconnaissance
pour sa libéralité et son estime. Pardonnez à ma liberté, qui ne procède que
de zèle pour votre service, vous souhaitant au reste un bon voyage, et à moi
les moyens de vous témoigner combien je suis, etc.
Le 27 oclobiv I (>•><'>.
Monsieur,
.le vous ai mandé par le dernier ordinaire le bruit qui s’est répandu que
vous êtes parti mécontent, que Monsieur m’en avait parlé et m’avait dit que
le Roi en était persuadé. Le jour suivant, S. A. R. me le dit encore; et
insistant que cela ne pouvait être, Elle me répliqua que le Roi le savait d’une
part à n’en point douter.
Hier soir, Sa Majesté à son souper me demanda tout bas si cela était
vrai; je l’assurai que non, qu’au contraire je vous avais vu très satisfait de
l’honneur que vous aviez reçu, de l’estime que Sa Majesté vous avait fait
paraître et de ses bienfaits. Je lui dis même que je vous avais donné avis de
ces bruits, de sorte qu’il importe, Monsieur, que vous écriviez comme je vous
ai mandé, afin de détromper le Roi ; vous devez cela à l’estime et à l’affection
que Sa Majesté a pour vous. Au reste, je me réjouis des beaux jours qui vous
accompagnent et suis avec sincérité et de tout mon cœur, etc.
(Dans une lettre datée de Lyon, le 30 octobre 1GG5, le Cavalier ne fit pas
une réponse aussi explicite (pie M. de Chantelou l’aurait sans doute désirée.
Après l’avoir remercié de son amitié, il se borna à lui dire que « si Dieu
lui donnait vie, il ferait voir non en paroles mais en effets à Sa Majesté et au
monde entier combien il restait obligé et affectionné à un si grand roi ».
Cette lettre est suivie de quatre autres dans le manuscrit. Pour ne pas
interrompre le récit, nous les donnons toutes en note. A la fin de la seconde,
il annonce la mort de Poussin.)