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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 5.1891

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Nr. 1
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Hymans, Henri: Pierre Breughel le Vieux, 3
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https://doi.org/10.11588/diglit.24449#0037

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

ment troué. Rien n’efface l’impression laissée par les faces livides
et convulsionnées de ces malheureux voués à la mort.

Mais voici le point culminant du tableau. Presque immédiatement
derrière l’ignominieuse charrette, se traîne le Christ, succombant sous
la croix. Bien qu’un groupe d’hommes du peuple se soit attelé au bois
du supplice, la marche est lente au gré des hommes d’escorte. Le
prévôt a arrêté le cortège et donné l’ordre à ses hommes de requérir
un passant, ce que voyant, plusieurs ouvriers prennent la fuite pour
échapper à la lugubre corvée.

La femme du campagnard appréhendé n’entend pas que son mari y
aille. Jetant là sa cruche de lait et l’agneau qu'elle portait à la ville,
elle s’accroche à son mari avec une rage dont l’intervention armée
des soldats a peine à triompher.

En attendant, les spectateurs, bourgeois et gens du peuple, atten-
dent comme terrifiés l’issue de la lutte. Un ouvrier, en tablier de
cuir, porte la main à ses lèvres, selon l'habitude des hommes du
peuple en proie à une émotion profonde et contenue. Il y a aussi des
indifférents. Ceux-là poursuivent leur route sans même se détourner.
Une femme continue tranquillement à brouetter son veau, lié dans
un panier. Il faut arriver à temps pour ne pas manquer l’affaire.

Le grand prévôt et sa garde, vêtue de hoquetons rouges, ferment la
marche. Hommes et chevaux sont irréprochables de mouvement et de
précision. Le plus rigoureux examen ne décèle pas un geste, pas un
détail qui ne soit le résultat d’une profonde observation de la nature.
Le modelé est d’une correction absolue.

Evoquant par son étude scrupuleuse le souvenir des primitifs,
Breughel les fait oublier par la spontanéité de sa conception. Paysa-
giste admirable surtout, il donne à ses sites une profondeur, une
vérité d’aspect jointe à une importance pittoresque peut-être unique
dans l’Ecole flamande. Il excelle surtout, peut-être le premier entre
les peintres, à mettre ses sites en rapport avec la scène qu’ils enve-
loppent.

Aussi ne songeons-nous point à lui tenir rigueur de son amour
du détail. Cet amour est trop essentiellement dans l’esprit de l’époque
pour surprendre les initiés. Campagnards, moines, soldats, docteurs
et bohémiens sont, évidemment des hors-d’œuvre dans une scène
de l’Évangile. Mais, enfin, Albert Durer, Lucas de Leyde, Quentin
Matsys, Rembrandt lui-même ne furent point, que nous sachions,
des modèles de précision historique. Breughel est avant tout le repré-
sentant d’un pays où la statuaire autant que la peinture est liée
 
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