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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Mais ce qui fait vraiment l’originalité de cet étrange tableau, c’est le
ravissant et frais paysage en miniature qui en orne la partie infé-
rieure et dont semble sortir la croix, sorte de représentation du
paradis terrestre, fouillis charmant d’arbres et d’arbustes, de touffes
de roseaux, d’herbages, de vignes, de fleurs et de fruits, parmi
lesquels circulent divers animaux admirablement reproduits. De
ce taillis s’élancenl deux arbres géants, deux beaux cyprès enlacés,
l’un par une vigne chargée de raisins, l’autre par un lierre avec
ses baies. Ils viennent accoster et remplir les cantons inférieurs de
la croix, en inclinant devant elle leur pointe vers la fleur centrale
comme dans une muette adoration. Rien de plus exquis que la
manière dont sont rendus ces végétaux et ces animaux. C’est d’un
réalisme inimitable ; pour certains détails, il semble que la nature
ait été vraiment prise sur le fait et tous ceux qui s’en vont répé-
tant des phrases apprises par cœur, sur cet art byzantin si raide
et si conventionnel, éprouveraient une vive surprise s’ils se don-
naient la peine d’examiner minutieusement, presque la loupe à la
main, ces animaux pleins de vie et de vérité, traités comme des
bronzes de Barye. Voyez surtout ces deux lions cachés dans le tronc
du cyprès de gauche; il semble qu’ils aient été copiés sur le vif tant
ils sont parfaits de forme et de mouvements. Voyez celui qui rampe
à travers les roseaux guettant un lièvre. Jamais on n’a imité de plus
près la nature. Des oiseaux d’espèces diverses, posés un peu partout,
chantent ou becquètent les raisins et autres baies. J’ai déjà eu l’occa-
sion de faire remarquer que les artistes byzantins du x' siècle excel-
laient à reproduire les animaux. Sur toute une série de sceaux de
plomb qui ont appartenu à des chefs militaires de cette époque, on
remarque en particulier des représentations de bêtes féroces qui sont
d’une fidélité, d’une élégance, d’une beauté d’exécution tout à fait
remarquable. Il n’est plus possible de venir soutenir encore que les
artistes byzantins du bon siècle ignoraient l’art de mettre de la vie
dans leurs compositions.
M. de Linas s’est longuement essayé à interpréter l’idée fonda-
mentale de ce tableau central qui, d’après lui, représenterait le
triomphe de la croix au centre de l’Eden. Mais toute son exposition,
fort intéressante, relève plus d’un travail purement archéologique
que d’un simple article descriptif pour la Gazette des Beaux-Arts, et je
me bornerai simplement à reproduire les conclusions du savant
érudit. « En haut, dit M. de Linas, l’auteur du triptyque a repré-
senté le firmament semé d’étoiles ; en bas, des animaux, des végétaux,
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Mais ce qui fait vraiment l’originalité de cet étrange tableau, c’est le
ravissant et frais paysage en miniature qui en orne la partie infé-
rieure et dont semble sortir la croix, sorte de représentation du
paradis terrestre, fouillis charmant d’arbres et d’arbustes, de touffes
de roseaux, d’herbages, de vignes, de fleurs et de fruits, parmi
lesquels circulent divers animaux admirablement reproduits. De
ce taillis s’élancenl deux arbres géants, deux beaux cyprès enlacés,
l’un par une vigne chargée de raisins, l’autre par un lierre avec
ses baies. Ils viennent accoster et remplir les cantons inférieurs de
la croix, en inclinant devant elle leur pointe vers la fleur centrale
comme dans une muette adoration. Rien de plus exquis que la
manière dont sont rendus ces végétaux et ces animaux. C’est d’un
réalisme inimitable ; pour certains détails, il semble que la nature
ait été vraiment prise sur le fait et tous ceux qui s’en vont répé-
tant des phrases apprises par cœur, sur cet art byzantin si raide
et si conventionnel, éprouveraient une vive surprise s’ils se don-
naient la peine d’examiner minutieusement, presque la loupe à la
main, ces animaux pleins de vie et de vérité, traités comme des
bronzes de Barye. Voyez surtout ces deux lions cachés dans le tronc
du cyprès de gauche; il semble qu’ils aient été copiés sur le vif tant
ils sont parfaits de forme et de mouvements. Voyez celui qui rampe
à travers les roseaux guettant un lièvre. Jamais on n’a imité de plus
près la nature. Des oiseaux d’espèces diverses, posés un peu partout,
chantent ou becquètent les raisins et autres baies. J’ai déjà eu l’occa-
sion de faire remarquer que les artistes byzantins du x' siècle excel-
laient à reproduire les animaux. Sur toute une série de sceaux de
plomb qui ont appartenu à des chefs militaires de cette époque, on
remarque en particulier des représentations de bêtes féroces qui sont
d’une fidélité, d’une élégance, d’une beauté d’exécution tout à fait
remarquable. Il n’est plus possible de venir soutenir encore que les
artistes byzantins du bon siècle ignoraient l’art de mettre de la vie
dans leurs compositions.
M. de Linas s’est longuement essayé à interpréter l’idée fonda-
mentale de ce tableau central qui, d’après lui, représenterait le
triomphe de la croix au centre de l’Eden. Mais toute son exposition,
fort intéressante, relève plus d’un travail purement archéologique
que d’un simple article descriptif pour la Gazette des Beaux-Arts, et je
me bornerai simplement à reproduire les conclusions du savant
érudit. « En haut, dit M. de Linas, l’auteur du triptyque a repré-
senté le firmament semé d’étoiles ; en bas, des animaux, des végétaux,