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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
et une mollesse de convention, une tendance à la surcharge et à
l’enflure, qui altèrent jusqu’aux meilleurs modèles de l’art helléni-
tique à la façon d’une prétentieuse traduction. C’est que la semence
de cet art étranger était tombée sur un sol qui n’était pas préparé à
la recevoir. Charles Lenormant écrivait en 1841, à propos de la
statue d’Apollon exhumée au Yieil-Evreux1 : « Quelquefois les
figurines découvertes dans la Gaule se rapprochent plus des modèles
grecs; quelquefois on y remarque une affectation, un défaut de
simplicité qui répond aux défauts ordinaires des écrivains gaulois.
On a retrouvé dans les monuments étrusques quelques exagérations
propres au style toscan moderne. On peut en dire autant de la sta
tuaire gallo-romaine et soutenir même, par des exemples concluants,
que le goût Louis XIV est quelque chose d’endémique sur notre
sol. »
Ces lignes renferment une part de vérité et une part d’erreur. Les
défauts signalés par Lenormant sont, en effet, très communs dans les
meilleures œuvres hellénisantes que l’on ait retrouvées en Gaule. Mais,
avant d’y voir un effet d’une tendance nationale à l’enflure, il faudrait
commencer par établir la réalité de cette tendance. Or, à l’époque
de l’indépendance gauloise, comme au xiie et au xme siècle, comme
plus tard encore, l'art indigène, qui n’a rien de solennel ni de gourmé,
est caractérisé par une préoccupation très vive de la décoration et
aussi par l’élégance et le goût qu’il y apporte. Ce qu’il y a de faux et
d’outré dans le style Louis X1Y, comme dans celui du premier Empire
et de la Restauration, s’explique par une imitation de l’art hellénis-
tique ou gréco-romain — car l’art attique était encore inconnu — mal
accommodée au tempérament national qui la subissait presque de force,
et cette cause d’infériorité se manifeste déjà, justifiée par les mêmes
influences, dans les œuvres prétentieuses et médiocres des artistes
gallo-romains. Le grand Apollon de Lillebonne, au Louvre, celui du
Musée d’Evreux, le Bacchus de la collection Gréau à Saint-Germain,
sont de fâcheux exemples de cet art de parade, art sans racines où rien
ne révèle une personnalité, où l’absence de style accuse le vide de
l’esprit. On préfère encore les œuvres naïves et sèches où l’artiste
gaulois, déformant à plaisir les types grecs, se laisse aller à ses
instincts géométriques de décorateur, renie la forme vivante par
amour de la symétrie et de l’ornement. Telles sont, en particulier,
certaines terres-cuites blanches, dont le faux air d’archaïsme
L Ch. Lenormant, Courrier de l'Eure, juillet 1841.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
et une mollesse de convention, une tendance à la surcharge et à
l’enflure, qui altèrent jusqu’aux meilleurs modèles de l’art helléni-
tique à la façon d’une prétentieuse traduction. C’est que la semence
de cet art étranger était tombée sur un sol qui n’était pas préparé à
la recevoir. Charles Lenormant écrivait en 1841, à propos de la
statue d’Apollon exhumée au Yieil-Evreux1 : « Quelquefois les
figurines découvertes dans la Gaule se rapprochent plus des modèles
grecs; quelquefois on y remarque une affectation, un défaut de
simplicité qui répond aux défauts ordinaires des écrivains gaulois.
On a retrouvé dans les monuments étrusques quelques exagérations
propres au style toscan moderne. On peut en dire autant de la sta
tuaire gallo-romaine et soutenir même, par des exemples concluants,
que le goût Louis XIV est quelque chose d’endémique sur notre
sol. »
Ces lignes renferment une part de vérité et une part d’erreur. Les
défauts signalés par Lenormant sont, en effet, très communs dans les
meilleures œuvres hellénisantes que l’on ait retrouvées en Gaule. Mais,
avant d’y voir un effet d’une tendance nationale à l’enflure, il faudrait
commencer par établir la réalité de cette tendance. Or, à l’époque
de l’indépendance gauloise, comme au xiie et au xme siècle, comme
plus tard encore, l'art indigène, qui n’a rien de solennel ni de gourmé,
est caractérisé par une préoccupation très vive de la décoration et
aussi par l’élégance et le goût qu’il y apporte. Ce qu’il y a de faux et
d’outré dans le style Louis X1Y, comme dans celui du premier Empire
et de la Restauration, s’explique par une imitation de l’art hellénis-
tique ou gréco-romain — car l’art attique était encore inconnu — mal
accommodée au tempérament national qui la subissait presque de force,
et cette cause d’infériorité se manifeste déjà, justifiée par les mêmes
influences, dans les œuvres prétentieuses et médiocres des artistes
gallo-romains. Le grand Apollon de Lillebonne, au Louvre, celui du
Musée d’Evreux, le Bacchus de la collection Gréau à Saint-Germain,
sont de fâcheux exemples de cet art de parade, art sans racines où rien
ne révèle une personnalité, où l’absence de style accuse le vide de
l’esprit. On préfère encore les œuvres naïves et sèches où l’artiste
gaulois, déformant à plaisir les types grecs, se laisse aller à ses
instincts géométriques de décorateur, renie la forme vivante par
amour de la symétrie et de l’ornement. Telles sont, en particulier,
certaines terres-cuites blanches, dont le faux air d’archaïsme
L Ch. Lenormant, Courrier de l'Eure, juillet 1841.