LE MUSÉE DU PRADO.
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n’avait sous la main aucun maître en état de la rendre selon ses
mérites, Anvers la connut à peine et l’on ne dit point qu’il en ait
subsisté un dessin ou une esquisse.
Chargé par la ville, dès le lendemain de son retour d’Italie, de
décorer le palais municipal d’une peinture, Rubens fit choix d’un
sujet qui, à ce moment de sa carrière, est assez caractéristique de
ses prédilections italiennes, car il fournissait matière à un des vastes
et somptueux étalages qui, probablement, motivent la fréquente répé-
tition dans son œuvre d’une donnée où ostensiblement il s’applique à
lutter de splendeur et d’éclat avec le Titien. Première en date, la
version de Madrid est la plus vaste que l’on connaisse. Elle ne mesure
pas moins de cinq mètres de long.
Livrée en 1C09, VAdoration des Mages ne resta pas longtemps en
place. Bien qu’elle en fût légitimement hère, la municipalité, pour
se concilier les bonnes grâces du célèbre Rodrigo Calderon, alors
comte d’Oliva, arrivé dans ses murs en 1612 avec une mission de
Philippe III, n’hésita pas à en faire hommage à cet homme de cour.
C’était « la chose la plus rare et la plus belle » qu’elle possédât. La
toile partit donc pour l'Espagne, sa place restant vide sur les murs
de l’Hôtel de Ville. Lorsque, plus tard, entraîné dans la disgrâce du
duc de Lerme, Calderon monta sur l’échafaud, Y Adoration des Mages
arriva aux mains du roi. Chose très curieuse, elle ne servit jamais à
la décoration d’un édifice religieux; ceci explique naturellement sa
présence au Prado, dont, en vérité, elle constitue un des ornements.
L’influence des souvenirs d’Italie devait s’y montrer vivace. Le
type lui-même est plus italien que flamand. La blonde Anversoise n’a
point encore primé, dans les affections du maître, la brune fille du
Transtevère ; les anges ne sont pas davantage les chérubins roses et
diaphanes que bientôt nous verrons peupler les gloires célestes. Le
coloris est à la fois d’une puissance et d’une profondeur faite pour
rivaliser avec celui de Venise et le dessin nerveux met en relief des
figures du plus beau style. Il y a là, dressé au milieu de la toile, un
mage à simarre écarlate qui, à la flamme des torches, jette des lueurs
d’incendie. L’or, les pierreries chatoient sur les vêtements des poten-
tats d'Orient et de leur escorte. Des esclaves aux chairs de bronze
s’avancent courbés sous le faix des présents, tandis qu’à l’extrême
droite du tableau se groupent, en une mêlée pittoresque, les cavaliers
et les conducteurs des chameaux dont la tête moqueuse vient toucher
le bord supérieur du cadre.
Rubens s’est lui-même placé dans l’escorte. Vêtu d’une casaque
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n’avait sous la main aucun maître en état de la rendre selon ses
mérites, Anvers la connut à peine et l’on ne dit point qu’il en ait
subsisté un dessin ou une esquisse.
Chargé par la ville, dès le lendemain de son retour d’Italie, de
décorer le palais municipal d’une peinture, Rubens fit choix d’un
sujet qui, à ce moment de sa carrière, est assez caractéristique de
ses prédilections italiennes, car il fournissait matière à un des vastes
et somptueux étalages qui, probablement, motivent la fréquente répé-
tition dans son œuvre d’une donnée où ostensiblement il s’applique à
lutter de splendeur et d’éclat avec le Titien. Première en date, la
version de Madrid est la plus vaste que l’on connaisse. Elle ne mesure
pas moins de cinq mètres de long.
Livrée en 1C09, VAdoration des Mages ne resta pas longtemps en
place. Bien qu’elle en fût légitimement hère, la municipalité, pour
se concilier les bonnes grâces du célèbre Rodrigo Calderon, alors
comte d’Oliva, arrivé dans ses murs en 1612 avec une mission de
Philippe III, n’hésita pas à en faire hommage à cet homme de cour.
C’était « la chose la plus rare et la plus belle » qu’elle possédât. La
toile partit donc pour l'Espagne, sa place restant vide sur les murs
de l’Hôtel de Ville. Lorsque, plus tard, entraîné dans la disgrâce du
duc de Lerme, Calderon monta sur l’échafaud, Y Adoration des Mages
arriva aux mains du roi. Chose très curieuse, elle ne servit jamais à
la décoration d’un édifice religieux; ceci explique naturellement sa
présence au Prado, dont, en vérité, elle constitue un des ornements.
L’influence des souvenirs d’Italie devait s’y montrer vivace. Le
type lui-même est plus italien que flamand. La blonde Anversoise n’a
point encore primé, dans les affections du maître, la brune fille du
Transtevère ; les anges ne sont pas davantage les chérubins roses et
diaphanes que bientôt nous verrons peupler les gloires célestes. Le
coloris est à la fois d’une puissance et d’une profondeur faite pour
rivaliser avec celui de Venise et le dessin nerveux met en relief des
figures du plus beau style. Il y a là, dressé au milieu de la toile, un
mage à simarre écarlate qui, à la flamme des torches, jette des lueurs
d’incendie. L’or, les pierreries chatoient sur les vêtements des poten-
tats d'Orient et de leur escorte. Des esclaves aux chairs de bronze
s’avancent courbés sous le faix des présents, tandis qu’à l’extrême
droite du tableau se groupent, en une mêlée pittoresque, les cavaliers
et les conducteurs des chameaux dont la tête moqueuse vient toucher
le bord supérieur du cadre.
Rubens s’est lui-même placé dans l’escorte. Vêtu d’une casaque