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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
met encore quelque trace d'étude dans le buste où l’Empereur est
montré assez maigre, la tête penchée et tournée à droite, bientôt,
dans les nouveaux bustes qu’il exécute, il se plie à la consigne.
Chaudet renchérit et partage avec Canova le privilège de fournir
l'effigie gouvernementale. Aussi les deux bustes de Houdon, l’un
assez médiocre, à dire vrai, quoique donnant encore des indications
exactes, l’autre merveilleusement beau et digne de toute admiration,
n’ont aucun succès. Cela est tout simple; Houdon a suivi la nature,
et le grand artiste qu’il était n'a pas pensé qu’il pût faire mieux
qu’elle. Autour de la tète encore maigre, qu’il a étudiée de près lors-
qu’il exécutait le buste du premier Consul, — ce buste dont on n’a
pu retrouver encore la trace et que l’on ne connaît que par le tableau
de Boilly, — autour de cette tète aux plans vivement accusés, où
il a concentré toute la beauté de l’homme, toute l’énergie de sa race,
sans s’astreindre aux formules et aux canons antiques, il a tordu
cette bandelette, antique diadème des monarques d’Asie, emblème
de la souveraineté pour les artistes, sans nul rapport avec l’épaisse
couronne de feuilles de chêne et de lauriers pour laquelle Chaudet
a dévalisé des forêts. Son œuvre présente, outre un goût d’art digne
de sa jeunesse, une ressemblance qu’on ne peut contester, mais par
cela même elle n’aurait pu donner l’impression que recherchait
l’Empereur: une idée de puissance, de stabilité, d’éternité; et, cette
idée, elle s'impose dans les bustes de Chaudet et de Canova, tout à
fait inférieurs comme art et volontairement écartés du modèle, de
même qu’elle s’impose dans les portraits de Gérard et de David où
dès maintenant on ne doit plus chercher la ressemblance.
Qu’on n’aille pas s’imaginer que ce fût par fatuité ou par désir
d’être embelli que l’Empereur a voulu fixer aux yeux des peuples,
d’une façon définitive, sans s’inquiéter des modifications que sa
physfionomie pourrait subir, le type d’après lequel les peuples
devraient imaginer le souverain. Il importait que ce souverain fon-
dateur de la quatrième dynastie apparût beau, serein et grave, beau
d’une beauté presque plus qu’humaine, semblable aux Césars déifiés
ou aux Dieux dont ils étaient l’image. Que cela lui ressemblât, il n’y
attachait nul prix; il lui suffisait que les traits significatifs de sa
figure se retrouvassent dans ses portraits ou ses bustes, de façon qu’on
ne pût le méconnaître ; et ainsi se mettait-il aux yeux des peuples
au-dessus de la vieillesse et des changements qu'elle apporte, au-
dessus des diagnostics que l’on pouvait tirer de sa santé d’après tel ou
tel portrait, et, en prohibant la multiplicité et la diversité des repré-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
met encore quelque trace d'étude dans le buste où l’Empereur est
montré assez maigre, la tête penchée et tournée à droite, bientôt,
dans les nouveaux bustes qu’il exécute, il se plie à la consigne.
Chaudet renchérit et partage avec Canova le privilège de fournir
l'effigie gouvernementale. Aussi les deux bustes de Houdon, l’un
assez médiocre, à dire vrai, quoique donnant encore des indications
exactes, l’autre merveilleusement beau et digne de toute admiration,
n’ont aucun succès. Cela est tout simple; Houdon a suivi la nature,
et le grand artiste qu’il était n'a pas pensé qu’il pût faire mieux
qu’elle. Autour de la tète encore maigre, qu’il a étudiée de près lors-
qu’il exécutait le buste du premier Consul, — ce buste dont on n’a
pu retrouver encore la trace et que l’on ne connaît que par le tableau
de Boilly, — autour de cette tète aux plans vivement accusés, où
il a concentré toute la beauté de l’homme, toute l’énergie de sa race,
sans s’astreindre aux formules et aux canons antiques, il a tordu
cette bandelette, antique diadème des monarques d’Asie, emblème
de la souveraineté pour les artistes, sans nul rapport avec l’épaisse
couronne de feuilles de chêne et de lauriers pour laquelle Chaudet
a dévalisé des forêts. Son œuvre présente, outre un goût d’art digne
de sa jeunesse, une ressemblance qu’on ne peut contester, mais par
cela même elle n’aurait pu donner l’impression que recherchait
l’Empereur: une idée de puissance, de stabilité, d’éternité; et, cette
idée, elle s'impose dans les bustes de Chaudet et de Canova, tout à
fait inférieurs comme art et volontairement écartés du modèle, de
même qu’elle s’impose dans les portraits de Gérard et de David où
dès maintenant on ne doit plus chercher la ressemblance.
Qu’on n’aille pas s’imaginer que ce fût par fatuité ou par désir
d’être embelli que l’Empereur a voulu fixer aux yeux des peuples,
d’une façon définitive, sans s’inquiéter des modifications que sa
physfionomie pourrait subir, le type d’après lequel les peuples
devraient imaginer le souverain. Il importait que ce souverain fon-
dateur de la quatrième dynastie apparût beau, serein et grave, beau
d’une beauté presque plus qu’humaine, semblable aux Césars déifiés
ou aux Dieux dont ils étaient l’image. Que cela lui ressemblât, il n’y
attachait nul prix; il lui suffisait que les traits significatifs de sa
figure se retrouvassent dans ses portraits ou ses bustes, de façon qu’on
ne pût le méconnaître ; et ainsi se mettait-il aux yeux des peuples
au-dessus de la vieillesse et des changements qu'elle apporte, au-
dessus des diagnostics que l’on pouvait tirer de sa santé d’après tel ou
tel portrait, et, en prohibant la multiplicité et la diversité des repré-