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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
plus d’outils, plus d’atelier : il avait tout vendu, et la veille on
était venu lui proposer de faire un émail, — un émail comme il n’avait
plus osé en rêver. C’est Brateau, le fin ciseleur, Brateau, l’artiste
délicat, qui avait eu cette idée ingénieuse que lui avait dictée son cœur.
Il avait été trouver un homme de goût, M. Ed. Corroyer, l'architecte
bien connu, lui avait vanté le talent de son ami, n’avait pas eu de
peine à l’intéresser à lui, l’avait amené, et en quelques instants
Corroyer avait fait cette chose si simple, si bonne et si profitable :
donner du travail et de l’espoir, du courage et du bonheur à
l’artiste qui croyait pour toujours avoir brisé ses spatules et ses
pinceaux. « Prête-moi ton atelier et ton four, je voudrais peindre
Cette plaque, dit Grandhomme. — Viens, tu es chez toi, » répondit
Garnier.
Ces simples mots valurent un contrat en due forme : les deux
amis s’étaient associés d’une façon plus solide et plus durable que si
un notaire les y avait aidés. Voilà six ans qu’ils travaillent ensemble
et qu’ils signent de leurs deux noms réunis leurs œuvres.
La première pièce que Grandhomme ait peinte dans l’atelier de
la rue Couesnon est donc la plaque d’émail qui appartient à M. Cor-
royer. Elle représente la Musique; c'est une composition originale
de l’artiste, qui n’a jamais été exposée, je crois, et qui est d’une
harmonie de tons charmante. Elle porta bonheur aux deux amis,
car peu après l’orfèvre Poussielgue Rusand leur commandait une
grande plaque d’après Crivelli : la Vierge et l'Enfant. C'était un essai
très osé d’émaux rutilants sur des paillons d'or. Ils réussirent à
souhait.
Bapst venait d’écrire son livre sur l'Histoire des Diamants de la
Couronne, je voulus donner au livre une reliure en rapport avec le
sujet en y mettant le portrait du roy François IPr, qui a institué le
trésor royal, et Grandhomme me fit un magistral émail digne d’être
signé par maître Léonard.
Dès lors, nos amis étaient sauvés, ils avaient repris courage, ils
ne désespéraient plus de l’émail. L’Exposition de 1889 était proche,
les travaux venaient nombreux, et puis ils se soutenaient l’un 1 autre.
La trop grande modestie de Grandhomme trouvait un appui dans
la bonne humeur et la robuste franchise de Garnier.
Je n’ai pas entrepris cette étude pour parler d’eux, mais surtout
de Popelin, et je n’ai pas à faire de leurs œuvres un inventaire aussi
exact et aussi complet que des siennes. Ilsjn’ont pas fini, eux, et c’est
la besogne de quelque critique d’art de l’avenir de rechercher ce
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
plus d’outils, plus d’atelier : il avait tout vendu, et la veille on
était venu lui proposer de faire un émail, — un émail comme il n’avait
plus osé en rêver. C’est Brateau, le fin ciseleur, Brateau, l’artiste
délicat, qui avait eu cette idée ingénieuse que lui avait dictée son cœur.
Il avait été trouver un homme de goût, M. Ed. Corroyer, l'architecte
bien connu, lui avait vanté le talent de son ami, n’avait pas eu de
peine à l’intéresser à lui, l’avait amené, et en quelques instants
Corroyer avait fait cette chose si simple, si bonne et si profitable :
donner du travail et de l’espoir, du courage et du bonheur à
l’artiste qui croyait pour toujours avoir brisé ses spatules et ses
pinceaux. « Prête-moi ton atelier et ton four, je voudrais peindre
Cette plaque, dit Grandhomme. — Viens, tu es chez toi, » répondit
Garnier.
Ces simples mots valurent un contrat en due forme : les deux
amis s’étaient associés d’une façon plus solide et plus durable que si
un notaire les y avait aidés. Voilà six ans qu’ils travaillent ensemble
et qu’ils signent de leurs deux noms réunis leurs œuvres.
La première pièce que Grandhomme ait peinte dans l’atelier de
la rue Couesnon est donc la plaque d’émail qui appartient à M. Cor-
royer. Elle représente la Musique; c'est une composition originale
de l’artiste, qui n’a jamais été exposée, je crois, et qui est d’une
harmonie de tons charmante. Elle porta bonheur aux deux amis,
car peu après l’orfèvre Poussielgue Rusand leur commandait une
grande plaque d’après Crivelli : la Vierge et l'Enfant. C'était un essai
très osé d’émaux rutilants sur des paillons d'or. Ils réussirent à
souhait.
Bapst venait d’écrire son livre sur l'Histoire des Diamants de la
Couronne, je voulus donner au livre une reliure en rapport avec le
sujet en y mettant le portrait du roy François IPr, qui a institué le
trésor royal, et Grandhomme me fit un magistral émail digne d’être
signé par maître Léonard.
Dès lors, nos amis étaient sauvés, ils avaient repris courage, ils
ne désespéraient plus de l’émail. L’Exposition de 1889 était proche,
les travaux venaient nombreux, et puis ils se soutenaient l’un 1 autre.
La trop grande modestie de Grandhomme trouvait un appui dans
la bonne humeur et la robuste franchise de Garnier.
Je n’ai pas entrepris cette étude pour parler d’eux, mais surtout
de Popelin, et je n’ai pas à faire de leurs œuvres un inventaire aussi
exact et aussi complet que des siennes. Ilsjn’ont pas fini, eux, et c’est
la besogne de quelque critique d’art de l’avenir de rechercher ce