232 GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
sentiment qui s’en dégage. Le contraste du type matronal de Déméter avec le
type virginal d’Artémis, de l’un et de l’autre avec celui d’Anytos, écho du
Jupiter Olympien de Phidias, suffit à trahir la main ou plutôt la pensée d’un
artiste supérieur, formé aux traditions de l’art panhellénique que les frontons
du Parthénon nous ont révélées.
Cela est indiscutable ; mais est-il permis d’en conclure que l’auteur tra-
vaillait au début du ive siècle?
Si M. Doerpfeld a soutenu récemment, avec l’approbation de M. Furt-
waengler, que le temple et les statues de Lycosura dataient de l’époque
gréco-romaine, que ces belles œuvres n’étaient pas antérieures au ier siècle
avant J.-C., cela prouve simplement que des scul-
ptures comme celles-là ont quelque chose de décon-
certant pour nous à l’époque des débuts de Praxitèle.
En les découvrant ailleurs, au fond d’un musée
italien, par exemple, on n’aurait pas hésité à les
qualifier d’hellénistiques, à les attribuer à ce fameux
deuxième siècle où notre ignorance relègue, comme
dans un dépôt, tout ce qu’elle ne sait pas dater avec
précision. Une comparaison, cependant, avec des
œuvres d’un caractère analogue, mais certainement
gréco-romaines, doit nous réconcilier, semble-t-il,
avec les inductions tirées du texte de Pausanias par
M. Brunn. Le Musée de Cherchell possède quatre
tètes colossales dont on peut voir les moulages à
l’École des Beaux-Arts 1 et qui représentent, l’une
un dieu marin, les trois autres des femmes, peut-
être des Néréides. Ces belles sculptures, que j’attri-
bue à un artiste d’Alexandrie, sont datées avec assez
de certitude : elles doivent avoir orné, quinze ou vingt ans avant Père chré-
tienne, un monument élevé par Juba IL Or, on n’a qu’à les comparer aux tètes
de Lycosura pour comprendre qu’un long intervalle les sépare. Ici tout est
calme et majestueux, les expressions sont bienveillantes et sereines : là, c'est
la tendance à l’effet, le goût du pathétique et du violent qui prédominent.
C’est que, dans l’intervalle, une autre école d’art s’est développée et a conquis
la mode, l’école à laquelle nous devons les bas-reliefs du grand autel de
Pergame, les Gaulois d’Épigonos, le Laocoon. De cette école, il n’y a pas
trace dans les colosses de Lycosura. Au ier ou au ue siècle avant l’ère chré-
tienne, un Damophon, même imitateur de Phidias, n’aurait pas sculpté
ainsi. Il faut s’incliner devant les faits, quelque gênants qu’ils soient pour
nos habitudes. Et surtout, qu’on ne vienne pas nous alléguer un texte de
Pausanias qui signale, dans le portique du même temple de Despoina, un
GROUPE EN TERRE CUITE
DE M Y R IN A.
(Musée de Dresde.)
U Revue archéologique, 1889, pi. X, XI.
sentiment qui s’en dégage. Le contraste du type matronal de Déméter avec le
type virginal d’Artémis, de l’un et de l’autre avec celui d’Anytos, écho du
Jupiter Olympien de Phidias, suffit à trahir la main ou plutôt la pensée d’un
artiste supérieur, formé aux traditions de l’art panhellénique que les frontons
du Parthénon nous ont révélées.
Cela est indiscutable ; mais est-il permis d’en conclure que l’auteur tra-
vaillait au début du ive siècle?
Si M. Doerpfeld a soutenu récemment, avec l’approbation de M. Furt-
waengler, que le temple et les statues de Lycosura dataient de l’époque
gréco-romaine, que ces belles œuvres n’étaient pas antérieures au ier siècle
avant J.-C., cela prouve simplement que des scul-
ptures comme celles-là ont quelque chose de décon-
certant pour nous à l’époque des débuts de Praxitèle.
En les découvrant ailleurs, au fond d’un musée
italien, par exemple, on n’aurait pas hésité à les
qualifier d’hellénistiques, à les attribuer à ce fameux
deuxième siècle où notre ignorance relègue, comme
dans un dépôt, tout ce qu’elle ne sait pas dater avec
précision. Une comparaison, cependant, avec des
œuvres d’un caractère analogue, mais certainement
gréco-romaines, doit nous réconcilier, semble-t-il,
avec les inductions tirées du texte de Pausanias par
M. Brunn. Le Musée de Cherchell possède quatre
tètes colossales dont on peut voir les moulages à
l’École des Beaux-Arts 1 et qui représentent, l’une
un dieu marin, les trois autres des femmes, peut-
être des Néréides. Ces belles sculptures, que j’attri-
bue à un artiste d’Alexandrie, sont datées avec assez
de certitude : elles doivent avoir orné, quinze ou vingt ans avant Père chré-
tienne, un monument élevé par Juba IL Or, on n’a qu’à les comparer aux tètes
de Lycosura pour comprendre qu’un long intervalle les sépare. Ici tout est
calme et majestueux, les expressions sont bienveillantes et sereines : là, c'est
la tendance à l’effet, le goût du pathétique et du violent qui prédominent.
C’est que, dans l’intervalle, une autre école d’art s’est développée et a conquis
la mode, l’école à laquelle nous devons les bas-reliefs du grand autel de
Pergame, les Gaulois d’Épigonos, le Laocoon. De cette école, il n’y a pas
trace dans les colosses de Lycosura. Au ier ou au ue siècle avant l’ère chré-
tienne, un Damophon, même imitateur de Phidias, n’aurait pas sculpté
ainsi. Il faut s’incliner devant les faits, quelque gênants qu’ils soient pour
nos habitudes. Et surtout, qu’on ne vienne pas nous alléguer un texte de
Pausanias qui signale, dans le portique du même temple de Despoina, un
GROUPE EN TERRE CUITE
DE M Y R IN A.
(Musée de Dresde.)
U Revue archéologique, 1889, pi. X, XI.