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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
y ajoutaient des emblèmes, voire des sujets, qui font de ces pavois,
de ces targes, des monuments inestimables de l’art décoratif ancien.
Les inventaires, les récits des annalistes, nous ont conservé
les descriptions de ces armures, de ces pièces d’armes de luxe,
dont se paraient les gens de guerre dans les cérémonies, les
montres, les joutes, les tournois, les entrées de souverains. Re-
venir sur ce sujet est bien inutile, tous ceux qui ont écrit
sur l’histoire des armes se sont étendus sur ce faste militaire, et nul
ne l’a mieux fait qu’Edouard de Beaumont dans sa remarquable
notice sur les gens de guerre du comte de Saint-Pol. Ce qu'on
a relevé pour la Bourgogne, pour la France, pour l’Italie, d’autres
archéologues l’ont également fait connaître pour l’Allemagne et
l’Angleterre, notamment le baron de Cosson, cet infatigable cher-
cheur, si connu parmi tous les amateurs d’armes anciennes.
Si Charles Vil et les officiers de sa maison, si les ducs de Bour-
gogne éblouissaient l’Europe de leur faste, les rois d’Angleterre
ne leur cédaient en rien sous ce rapport. Henry VII dépensait jus-
qu’à 3,800 livres sterling pour « diverses peces of clotli of gold, and
for certain and many precyouse stones and riches perlys, bought of
Lambardes, for the garnyshing of salades, chapues, and helemytes ».
Ce souverain qui dépensait une telle somme, dont la valeur exacte,
comme pouvoir d’argent, ne peut se chiffrer qu’en étant multipliée
aujourd’hui par le chiffre 25, pour l’ornement de ses casques, avait
payé jusqu’à 38 livres sterling 1 shilling et 4 pence au bijoutier
Jean van Delf pour la seule garniture d’une salade. Cela représente
de nos jours un peu plus de vingt-quatre mille francs, et encore une
pareille dépense ne pouvait-elle passer pour de la prodigalité auprès
de ce qu’on avait vu en France, au siège de Harfleur, où le seul
chanfrein du comte Waleran de Saint-Pol était prisé trente mille
écus, à l’entrée de Charles VII à Rouen, où l’épée de Dunois avait
à sa bouterolle un « ruby prisé vingt mille écus ».
Mais, déjà au xve siècle, le travail de l’armurier tendait à s’af-
franchir de l’aide des orfèvres, et à n’emprunter qu’à l’acier lui-
mèmele mérite et l’élégance des œuvres. Les batteurs de plates de la
Lombardie étaient déjà célèbres, entre tous ceux de Milan brillaient
du plus vif éclat. C’est au savant conservateur de l’Arsenal de
Vienne, M. Wendelin Bœheim, que l’on doit les recherches sagaces et
judicieuses qui nous ont fait connaitre cette illustre dynastie d’ar-
muriers dite des Missaglia. Les Missaglia, dont les armures étaient
recherchées dans toute l’Europe dès la fin du xive siècle, semblent
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
y ajoutaient des emblèmes, voire des sujets, qui font de ces pavois,
de ces targes, des monuments inestimables de l’art décoratif ancien.
Les inventaires, les récits des annalistes, nous ont conservé
les descriptions de ces armures, de ces pièces d’armes de luxe,
dont se paraient les gens de guerre dans les cérémonies, les
montres, les joutes, les tournois, les entrées de souverains. Re-
venir sur ce sujet est bien inutile, tous ceux qui ont écrit
sur l’histoire des armes se sont étendus sur ce faste militaire, et nul
ne l’a mieux fait qu’Edouard de Beaumont dans sa remarquable
notice sur les gens de guerre du comte de Saint-Pol. Ce qu'on
a relevé pour la Bourgogne, pour la France, pour l’Italie, d’autres
archéologues l’ont également fait connaître pour l’Allemagne et
l’Angleterre, notamment le baron de Cosson, cet infatigable cher-
cheur, si connu parmi tous les amateurs d’armes anciennes.
Si Charles Vil et les officiers de sa maison, si les ducs de Bour-
gogne éblouissaient l’Europe de leur faste, les rois d’Angleterre
ne leur cédaient en rien sous ce rapport. Henry VII dépensait jus-
qu’à 3,800 livres sterling pour « diverses peces of clotli of gold, and
for certain and many precyouse stones and riches perlys, bought of
Lambardes, for the garnyshing of salades, chapues, and helemytes ».
Ce souverain qui dépensait une telle somme, dont la valeur exacte,
comme pouvoir d’argent, ne peut se chiffrer qu’en étant multipliée
aujourd’hui par le chiffre 25, pour l’ornement de ses casques, avait
payé jusqu’à 38 livres sterling 1 shilling et 4 pence au bijoutier
Jean van Delf pour la seule garniture d’une salade. Cela représente
de nos jours un peu plus de vingt-quatre mille francs, et encore une
pareille dépense ne pouvait-elle passer pour de la prodigalité auprès
de ce qu’on avait vu en France, au siège de Harfleur, où le seul
chanfrein du comte Waleran de Saint-Pol était prisé trente mille
écus, à l’entrée de Charles VII à Rouen, où l’épée de Dunois avait
à sa bouterolle un « ruby prisé vingt mille écus ».
Mais, déjà au xve siècle, le travail de l’armurier tendait à s’af-
franchir de l’aide des orfèvres, et à n’emprunter qu’à l’acier lui-
mèmele mérite et l’élégance des œuvres. Les batteurs de plates de la
Lombardie étaient déjà célèbres, entre tous ceux de Milan brillaient
du plus vif éclat. C’est au savant conservateur de l’Arsenal de
Vienne, M. Wendelin Bœheim, que l’on doit les recherches sagaces et
judicieuses qui nous ont fait connaitre cette illustre dynastie d’ar-
muriers dite des Missaglia. Les Missaglia, dont les armures étaient
recherchées dans toute l’Europe dès la fin du xive siècle, semblent