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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
duits on nous peigne le jeune homme, — ainsi que M. Uhde l’avait
fait à la dernière Exposition de Munich, — prenant congé d’une
vénérable concierge, tandis que l’ange qui l’attend tient à la main la
valise du voyageur: ce sont là, à notre avis, des plaisanteries d’un
goût douteux et l’on sent comme une dérision dans la bizarrerie
cherchée de ces rapprochements imprévus ou l’inconvenance de ces
travestissements. Sans aller jusque-là, peut-être Klinger a-t-il, un
peu plus qu'il ne fallait, cédé à ce travers dans son Crucifiement, et
tout en rendant, comme il convient, justice à l’ordonnance pitto-
resque de la scène et aux attitudes de certaines figures, nous sommes
étonné qu’un artiste de cette valeur ait introduit dans sa composition
ce cardinal en robe rouge confondu avec les bourreaux du Christ, ou
qu’il ait prêté à saint Jean le masque de Beethoven, croyant ainsi
nous offrir une incarnation plus vivante de la douleur. Ces idées d’à
côté, absolument en dehors du sujet, nous paraissent en altérer pro-
fondément la signification, et Klinger, qui condamne avec force cette
immixtion intempestive d'éléments étrangers dans le domaine de la
peinture, devrait plus que personne, à raison même de son talent,
en réprouver l’emploi.
Au risque d’être taxé de philistin, je serais disposé à me montrer
plus sévère encore pour une autre liberté, de nature plus délicate,
prise par l'artiste dans ce même tableau du Crucifiement, lorsqu’il
représente le Christ et les deux larrons absolument nus. Dans une
brochure publiée par lui sous le titre Malerei und Zeichnung, brochure
pleine d’idées personnelles et à laquelle nous aurons plus loin l'occa-
sion de revenir, Ivlinger recommande à bon droit à celui qui veut
exceller dans son art l’étude incessante du corps humain et il fait
valoir tous les motifs qui militent en faveur de cette étude. L’art
étant fait pour l’homme, c’est à lui qu’il doit se rapporter, et à ce
titre il n’est pas, en effet, d’étude plus profitable que celle de sa
propre personne. Quiconque veut traduire librement ses pensées
doit pouvoir à son gré reproduire toutes les formes du corps humain
dans toutes les positions, dans tous les mouvements. Celui qui n’est
pas capable de dessiner en perfection une main, un torse, un visage,
avec leur intime individualité, celui-là restera toujours l'esclave des
autres; il sera réduit à vivre d’emprunts et ne découvrira jamais
dans la nature les merveilleuses richesses qu’elle offre à ses confrères
mieux instruits. Tout cela est d’une justesse évidente. Mais quand
Klinger s’élève à ce propos contre une soi-disant pruderie qui croit
qu’il convient de masquer certaines formes du corps, nous deman-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
duits on nous peigne le jeune homme, — ainsi que M. Uhde l’avait
fait à la dernière Exposition de Munich, — prenant congé d’une
vénérable concierge, tandis que l’ange qui l’attend tient à la main la
valise du voyageur: ce sont là, à notre avis, des plaisanteries d’un
goût douteux et l’on sent comme une dérision dans la bizarrerie
cherchée de ces rapprochements imprévus ou l’inconvenance de ces
travestissements. Sans aller jusque-là, peut-être Klinger a-t-il, un
peu plus qu'il ne fallait, cédé à ce travers dans son Crucifiement, et
tout en rendant, comme il convient, justice à l’ordonnance pitto-
resque de la scène et aux attitudes de certaines figures, nous sommes
étonné qu’un artiste de cette valeur ait introduit dans sa composition
ce cardinal en robe rouge confondu avec les bourreaux du Christ, ou
qu’il ait prêté à saint Jean le masque de Beethoven, croyant ainsi
nous offrir une incarnation plus vivante de la douleur. Ces idées d’à
côté, absolument en dehors du sujet, nous paraissent en altérer pro-
fondément la signification, et Klinger, qui condamne avec force cette
immixtion intempestive d'éléments étrangers dans le domaine de la
peinture, devrait plus que personne, à raison même de son talent,
en réprouver l’emploi.
Au risque d’être taxé de philistin, je serais disposé à me montrer
plus sévère encore pour une autre liberté, de nature plus délicate,
prise par l'artiste dans ce même tableau du Crucifiement, lorsqu’il
représente le Christ et les deux larrons absolument nus. Dans une
brochure publiée par lui sous le titre Malerei und Zeichnung, brochure
pleine d’idées personnelles et à laquelle nous aurons plus loin l'occa-
sion de revenir, Ivlinger recommande à bon droit à celui qui veut
exceller dans son art l’étude incessante du corps humain et il fait
valoir tous les motifs qui militent en faveur de cette étude. L’art
étant fait pour l’homme, c’est à lui qu’il doit se rapporter, et à ce
titre il n’est pas, en effet, d’étude plus profitable que celle de sa
propre personne. Quiconque veut traduire librement ses pensées
doit pouvoir à son gré reproduire toutes les formes du corps humain
dans toutes les positions, dans tous les mouvements. Celui qui n’est
pas capable de dessiner en perfection une main, un torse, un visage,
avec leur intime individualité, celui-là restera toujours l'esclave des
autres; il sera réduit à vivre d’emprunts et ne découvrira jamais
dans la nature les merveilleuses richesses qu’elle offre à ses confrères
mieux instruits. Tout cela est d’une justesse évidente. Mais quand
Klinger s’élève à ce propos contre une soi-disant pruderie qui croit
qu’il convient de masquer certaines formes du corps, nous deman-