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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 11.1894

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Nr. 6
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Bonnaffé, Edmond: Voyages et voyageurs, 2: études sur la Renaissance
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https://doi.org/10.11588/diglit.24664#0511

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VOYAGES ET VOYAGEURS.

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politiques ou esthétiques : la rapidité du voyage, le peu de temps
généralement donné aux séjours, l’extrême variété des tableaux, ne
permettent pas les considérations de longue haleine. L’impression du
touriste est toujours plus ou moins superficielle; souvent même elle
dépend de sa bonne ou de sa méchante humeur, du point de vue
auquel il se place, d’un incident de route, d'une auberge où il a mal
dîné. Ce que nous cherchons avant tout, c’est l’observation saillante,
d’après nature, le détail pris sur le fait, la chose vue.

D’ailleurs nous comptons bien multiplier les citations et laisser
autant que possible la parole au voyageur. C’est lui qui raconte à sa
manière; nous ne faisons qu’écrire sous sa dictée. Ainsi le lecteur
pourra juger l’œuvre dans sa saveur originale, faire la connaissance
de l’auteur, et pénétrer avec lui dans l'intimité de son temps.

Le premier par ordre de date est Erasme. Erasme a beaucoup
couru le monde; il a séjourné en France, en Flandre, en Italie, en
Allemagne, en Angleterre, sans nous laisser malheureusement le
journal de ses voyages. Mais, en parcourant ses œuvres, on peut
encore glaner çà et là quelques indications sur la vie privée, quelques
traits de mœurs qu’il raconte avec sa verve et son tour d’esprit si
personnels. S’agit-il, par exemple, d’attirer en Angleterre le poète
Fausto Andrelini qui s’était fixé à la cour de France : « Un homme
comme vous, lui écrira-t-il, qui a le nez si fin, vieillir dans les
fumiers de la Gaule! Mais vous avez la goutte; au diable votre goutte!
Si vous connaissiez les mérites de l’Angleterre, vous vous mettriez
des ailes aux talons pour accourir jusqu’ici. Les Anglaises, ces
nymphes au visage de déesses, si douces, si accueillantes, vous les
placeriez sans peine au-dessus de vos Muses. Et puis, on a dans ce
pays une coutume qui dépasse tout éloge : vous arrivez, vous êtes
accueilli par les embrassements unanimes; vous partez, on vous con-
gédie avec des baisers; vous revenez, encore des baisers. On vous
aborde, en avant les baisers; on s’éloigne en échangeant des baisers.
Enfin, où que vous alliez, tout est plein de baisers. Et si vous goû-
tiez une seule fois comme ils sont délicats, comme ils sentent bon, à
l’instant, mon cher Faustus, vous voudriez vous exiler en Angleterre
non pas pour dix ans, comme Solon, mais jusqu’à la mort1 ».

Erasme avait trente ans quand il écrivait ces jolies choses. Plus

1. Epistolæ fcimiliares, 1538. — « Lors s'approucha d’elle et luy requist ung
baiser dont les dames et damoiselles dudit pays d’Angleterre sont assez libérales. »
(Cent Nouvelles nouvelles, lxxii.)
 
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