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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
M. A lessandro Morani peint 1 es moissonneurs dans les marais Pontins avec
des procédés renouvelés des vieux maîtres allemands et italiens.
La peinture d’histoire fleurit surtout en Espagne et fournit les deux plus
grandes toiles de l’exposition r' le triomphe de la dogaresse Foscari et la mort du
Toréador, de José Villégas. Retenons, pour d’extraordinaires qualités definesse dans
le gris, lapetite vue delà sierra Guadarrama de M. Aureliano de Beruete.
Les Belges sont très mal représentés. Les pêcheurs de crevettes à Nieuport de
M. Edgar Farasyn et ceux de M. Isid. Verheydex méritent seuls d’attirer l’atten-
tion. Mais j’ai déjà dit combien la petite exposition hollandaise était homogène et
complète. Les paysagistes de ce pays forment un petit groupe de braves, serré,
compact, et tous ils rendent leur pays, malgré des différences d’individualité très
tranchées, avec un sentiment de poétique et ample réalisme qui permet de les
confondre tous dans la même élogieuse mention.
Avec la Hollande, l’Angleterre est la mieux représentée et pour la même raison.
Tous ses peintres ont aussi des caractères communs et il se dégage de leurs oeuvres
un esprit général, mais qu’ils doivent, eux, à leur respect de la tradition. On ren-
contre à celte section, de même qu’à la hollandaise, beaucoup moins d’œuvres
franchement médiocres que dans les autres, et il s’y trouve le tableau capital, le
clou de toute l’exposition : la Frédégonde d’ALMA Tadéma, peinture à la fois
archaïque et réaliste, d’un coloris lumineux et ambré, profondément psychologique,
d’une royale distinction, œuvre pleine de recherches historiques et artistiques sans
maniérisme ni pédantisme, déjà ancienne, mais qui nous paraît surpasser hautement
même les meilleures d’entre les récentes œuvres du même maître, Mme Marianne
Stokes a brossé une salutation angélique où une Sainte Vierge bleue dort sur la
paille, bercée par le chant de deux petits anges, vêtus d’un rouge inouï; la violence
de ce coloris grumeleux n’enlève rien à la paix et à la simplicité de cette composi-
tion peu ordinaire. C’est dans cette section surtout qu’il faudrait citer une vingtaine
de portraits tous très distingués : l’un au pastel tout en couleurs ardoisées et gris
fer. confortable et froid, bien anglican, que M. Stott of Oldham intitule : « Devant
le foyer » ; c’est celui d’une, jeune femme en deuil assise à sa cheminée. Avec les
éléments les plus simples et même les plus bourgeois de la vie réelle, les Anglais
excellent à atteindre le style, à faire rentrer les éléments modernes les plus impré-
vus dans la tradition, et à exprimer le mystère et l'indéfinissable qui sont parfois
dans les appartements et les objets les plus simples. Les portraits de M. Cameron
sont caractéristiques de ce fait : tantôt cet artiste sait rendre presque fantastique
une exquise et falote petite créature blonde errant sous bois, tantôt il assied devant
un bouquet d’anémones, qui ressemble à une envolée de papillons rouges et jaunes,
une bizarre et gracieuse fillette vêtue et coiffée de nuances fausses dont les harmo-
nies rares surprennent sans cesser d’apparaître d'un insigne bon goût. Je laisse de
côté les paysages anglais, car de même que les portraits, il faudrait les'citer presque
lous; j’en retiens cependant un, petit paysage marocain de M. T. Millie Dow, dont
les verts blêmes, piqués d’iris étranges, confirment la révélation que fit, aux voya-
geurs qui ne connaissent du Maroc que Tanger, le livre deM. Pierre Loti.
Il y a peu à s’arrêter à la sculpture, très rare et très quelconque. Cependant, les
colossales figures de M. Tilgner, pour le monument de Werndl, à Steyer, la grande
fabrique d’armes de l’Autriche, sont une œuvre importante. Bien amusant, le vieux
silène ventru, enivré et endormi sur sa cruche, de M. Josef Boxa. Enfin, l’une des
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
M. A lessandro Morani peint 1 es moissonneurs dans les marais Pontins avec
des procédés renouvelés des vieux maîtres allemands et italiens.
La peinture d’histoire fleurit surtout en Espagne et fournit les deux plus
grandes toiles de l’exposition r' le triomphe de la dogaresse Foscari et la mort du
Toréador, de José Villégas. Retenons, pour d’extraordinaires qualités definesse dans
le gris, lapetite vue delà sierra Guadarrama de M. Aureliano de Beruete.
Les Belges sont très mal représentés. Les pêcheurs de crevettes à Nieuport de
M. Edgar Farasyn et ceux de M. Isid. Verheydex méritent seuls d’attirer l’atten-
tion. Mais j’ai déjà dit combien la petite exposition hollandaise était homogène et
complète. Les paysagistes de ce pays forment un petit groupe de braves, serré,
compact, et tous ils rendent leur pays, malgré des différences d’individualité très
tranchées, avec un sentiment de poétique et ample réalisme qui permet de les
confondre tous dans la même élogieuse mention.
Avec la Hollande, l’Angleterre est la mieux représentée et pour la même raison.
Tous ses peintres ont aussi des caractères communs et il se dégage de leurs oeuvres
un esprit général, mais qu’ils doivent, eux, à leur respect de la tradition. On ren-
contre à celte section, de même qu’à la hollandaise, beaucoup moins d’œuvres
franchement médiocres que dans les autres, et il s’y trouve le tableau capital, le
clou de toute l’exposition : la Frédégonde d’ALMA Tadéma, peinture à la fois
archaïque et réaliste, d’un coloris lumineux et ambré, profondément psychologique,
d’une royale distinction, œuvre pleine de recherches historiques et artistiques sans
maniérisme ni pédantisme, déjà ancienne, mais qui nous paraît surpasser hautement
même les meilleures d’entre les récentes œuvres du même maître, Mme Marianne
Stokes a brossé une salutation angélique où une Sainte Vierge bleue dort sur la
paille, bercée par le chant de deux petits anges, vêtus d’un rouge inouï; la violence
de ce coloris grumeleux n’enlève rien à la paix et à la simplicité de cette composi-
tion peu ordinaire. C’est dans cette section surtout qu’il faudrait citer une vingtaine
de portraits tous très distingués : l’un au pastel tout en couleurs ardoisées et gris
fer. confortable et froid, bien anglican, que M. Stott of Oldham intitule : « Devant
le foyer » ; c’est celui d’une, jeune femme en deuil assise à sa cheminée. Avec les
éléments les plus simples et même les plus bourgeois de la vie réelle, les Anglais
excellent à atteindre le style, à faire rentrer les éléments modernes les plus impré-
vus dans la tradition, et à exprimer le mystère et l'indéfinissable qui sont parfois
dans les appartements et les objets les plus simples. Les portraits de M. Cameron
sont caractéristiques de ce fait : tantôt cet artiste sait rendre presque fantastique
une exquise et falote petite créature blonde errant sous bois, tantôt il assied devant
un bouquet d’anémones, qui ressemble à une envolée de papillons rouges et jaunes,
une bizarre et gracieuse fillette vêtue et coiffée de nuances fausses dont les harmo-
nies rares surprennent sans cesser d’apparaître d'un insigne bon goût. Je laisse de
côté les paysages anglais, car de même que les portraits, il faudrait les'citer presque
lous; j’en retiens cependant un, petit paysage marocain de M. T. Millie Dow, dont
les verts blêmes, piqués d’iris étranges, confirment la révélation que fit, aux voya-
geurs qui ne connaissent du Maroc que Tanger, le livre deM. Pierre Loti.
Il y a peu à s’arrêter à la sculpture, très rare et très quelconque. Cependant, les
colossales figures de M. Tilgner, pour le monument de Werndl, à Steyer, la grande
fabrique d’armes de l’Autriche, sont une œuvre importante. Bien amusant, le vieux
silène ventru, enivré et endormi sur sa cruche, de M. Josef Boxa. Enfin, l’une des