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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
seulement par la composition ; un examen plus attentif relèvera
des différences dans la touche, et dans le dessin même. Prenons
les seules figures qui présentent, d’un tableau à l’autre, une ressem-
blance tout extérieure : les rois Mores ont tous deux un turban et des
bottes de cuir blanc fendues d’un crevé à la hauteur du genou. La
tunique du More de Cuenca, dont la soie écrue est toute striée d’in-
scriptions arabes brodées en noir; le chapeau de velours noir, qu'il
tient à la main, et dont le galon est orné de perles; les palmettes
d’or tracées sur la jambe et le pied de la botte sont détaillées avec
une finesse qui rappelle l’art du xv° siècle. Le surtout incarnat du
More de Valence, attaché sur l’épaule par des lacets d’or, le galon
même qui orne le manteau du plus jeune des rois, et qui est couvert
de caractères orientaux, sont d’une exécution plus sommaire et plus
molle. Mais c’est peu que des nuances dans le choix et le rendu d’un
accessoire, lorsque les deux personnages costumés à l’orientale
contrastent l’un avec l’autre par leur attitude, leur allure, et jusque
par les proportions de leurs corps : celui-ci, un vrai nain, court de
torse, et si mal assis, sur ses jambes inégales, qu’il va tomber;
celui-là, solidement campé et bien découplé. Mêmes différences entre
les visages des deux Vierges et le corps des deux enfants : à Valence,
des formes inconsistantes ; à Cuenca, des chairs pleines et rebondies.
De telles constatations seraient faciles à multiplier ; elles ne feraient
qu’appuyer une conclusion qui se dégage d’elle-même. Le rappro-
chement de deux tableaux qui n’ont de commun que le sujet et le
coloris nous a permis de distinguer dans le retable de Valence un
panneau qui n’est pas de Ferrando Yanez de l’Almedina, et qui
doit être, par conséquent, de Ferrando de Llanos.
Il faudrait poursuivre les confrontations. Mais, VAdoration des
Mages une fois mise de côté, la chapelle des Albornoz n’offre guère
de panneau que l’on puisse directement placer en parallèle avec un
des panneaux de Valence. Ni le Crucifiement, ni la Pietà ne comptent
parmi les images des Mystères joyeux. De la petite Nativité de
Cuenca, on ne peut guère distinguer que les têtes ; c’en est assez
pour voir que les bergers sont absents, alors qu’à Valence ils
tiennent le premier plan. Reste le Christ ressuscité de la prédelle.
C’est une figurine peu distincte, et presque impossible à reproduire;
mais, pour la comparer à la figure centrale de la Résurrection de
Valence, on peut trouver à Valence même un intermédiaire. C’est
un panneau du Musée provincial qui représente le Christ ressuscité
au milieu de trois guerriers; au fond, le Noli me langere. Les per-
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seulement par la composition ; un examen plus attentif relèvera
des différences dans la touche, et dans le dessin même. Prenons
les seules figures qui présentent, d’un tableau à l’autre, une ressem-
blance tout extérieure : les rois Mores ont tous deux un turban et des
bottes de cuir blanc fendues d’un crevé à la hauteur du genou. La
tunique du More de Cuenca, dont la soie écrue est toute striée d’in-
scriptions arabes brodées en noir; le chapeau de velours noir, qu'il
tient à la main, et dont le galon est orné de perles; les palmettes
d’or tracées sur la jambe et le pied de la botte sont détaillées avec
une finesse qui rappelle l’art du xv° siècle. Le surtout incarnat du
More de Valence, attaché sur l’épaule par des lacets d’or, le galon
même qui orne le manteau du plus jeune des rois, et qui est couvert
de caractères orientaux, sont d’une exécution plus sommaire et plus
molle. Mais c’est peu que des nuances dans le choix et le rendu d’un
accessoire, lorsque les deux personnages costumés à l’orientale
contrastent l’un avec l’autre par leur attitude, leur allure, et jusque
par les proportions de leurs corps : celui-ci, un vrai nain, court de
torse, et si mal assis, sur ses jambes inégales, qu’il va tomber;
celui-là, solidement campé et bien découplé. Mêmes différences entre
les visages des deux Vierges et le corps des deux enfants : à Valence,
des formes inconsistantes ; à Cuenca, des chairs pleines et rebondies.
De telles constatations seraient faciles à multiplier ; elles ne feraient
qu’appuyer une conclusion qui se dégage d’elle-même. Le rappro-
chement de deux tableaux qui n’ont de commun que le sujet et le
coloris nous a permis de distinguer dans le retable de Valence un
panneau qui n’est pas de Ferrando Yanez de l’Almedina, et qui
doit être, par conséquent, de Ferrando de Llanos.
Il faudrait poursuivre les confrontations. Mais, VAdoration des
Mages une fois mise de côté, la chapelle des Albornoz n’offre guère
de panneau que l’on puisse directement placer en parallèle avec un
des panneaux de Valence. Ni le Crucifiement, ni la Pietà ne comptent
parmi les images des Mystères joyeux. De la petite Nativité de
Cuenca, on ne peut guère distinguer que les têtes ; c’en est assez
pour voir que les bergers sont absents, alors qu’à Valence ils
tiennent le premier plan. Reste le Christ ressuscité de la prédelle.
C’est une figurine peu distincte, et presque impossible à reproduire;
mais, pour la comparer à la figure centrale de la Résurrection de
Valence, on peut trouver à Valence même un intermédiaire. C’est
un panneau du Musée provincial qui représente le Christ ressuscité
au milieu de trois guerriers; au fond, le Noli me langere. Les per-