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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
van Ostade. Elle portait, en effet, vers le bas à droite, la signa-
ture de cet artiste, si minuscule qu’on ne pouvait la découvrir que
sous un jour très clair. La plupart de ceux qui examinèrent le
tableau sans recourir à l’aide du catalogue le crurent de Rem-
brandt, tant le sujet, la touche et le clair-obscur semblaient conformes
à la première manière du maître. Il confirmait d’ailleurs d’une façon
irréfutable ce fait que, dans la formation du talent de van Ostade,
aux noms de Frans Hais, dont il était l’élève et d’Adriaen Brouwer,
dont il avait subi l’influence, il convenait d’ajouter celui de Rem-
brandt, dont il avait pu faire des pastiches à ce point fidèles que
les plus habiles pouvaient s’y tromper.
On le voit, de telles œuvres nous donnent l’explication des
méprises que peuvent occasionner ces questions si délicates de
paternité artistique. Combien, dans tous les musées, de problèmes
analogues se posent pour des œuvres parfois très célèbres! Qu’on
pense d’ailleurs à toutes les différences que l’âge, les dispositions
d’esprit et le plus ou moins d’entrain peuvent amener dans la produc-
tion d’un artiste; à la collaboration plus ou moins grande qu’il a
trouvée chez ses élèves; aux interruptions souvent assez longues
mises par lui dans l’exécution d’une même œuvre, à son aptitude
pour traiter certains sujets, à l’inhabileté qu’il montre dans certains
autres, et l’on comprendra que ces causes d’inégalité et de diversité
soient comme autant d’embûches dressées en face des critiques
même les plus érudits et les plus consciencieux. Que ceux qui sont
sans erreur leur jettent la première pierre.
Ces méprises d’ailleurs n’ont-elles pas elles-mêmes leur utilité?
Si elles infligent des leçons cuisantes aux susceptibilités vaniteuses,
elles profitent, en somme, à l’histoire de l’art. Oportet hæreses esse;
il est bon qu’il y ait des hérésies. Les discussions et les études
sérieuses qu’elles peuvent provoquer démontrent l’utilité croissante
des expositions bornées aux œuvres d’un seul maître ou d’une seule
époque. Les comparaisons directes qu’elles permettent ont forcé-
ment un caractère de précision à la fois plus efficace et plus sûr.
On s’y décide non d’après des considérations littéraires, mais d’après
des documents formels ou des raisons techniques que suggèrent ces
rapprochements. Pour le critique digne de ce nom, il n’est pas
d’intérêt supérieur à celui de la vérité.
EMILE MICHEL
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
van Ostade. Elle portait, en effet, vers le bas à droite, la signa-
ture de cet artiste, si minuscule qu’on ne pouvait la découvrir que
sous un jour très clair. La plupart de ceux qui examinèrent le
tableau sans recourir à l’aide du catalogue le crurent de Rem-
brandt, tant le sujet, la touche et le clair-obscur semblaient conformes
à la première manière du maître. Il confirmait d’ailleurs d’une façon
irréfutable ce fait que, dans la formation du talent de van Ostade,
aux noms de Frans Hais, dont il était l’élève et d’Adriaen Brouwer,
dont il avait subi l’influence, il convenait d’ajouter celui de Rem-
brandt, dont il avait pu faire des pastiches à ce point fidèles que
les plus habiles pouvaient s’y tromper.
On le voit, de telles œuvres nous donnent l’explication des
méprises que peuvent occasionner ces questions si délicates de
paternité artistique. Combien, dans tous les musées, de problèmes
analogues se posent pour des œuvres parfois très célèbres! Qu’on
pense d’ailleurs à toutes les différences que l’âge, les dispositions
d’esprit et le plus ou moins d’entrain peuvent amener dans la produc-
tion d’un artiste; à la collaboration plus ou moins grande qu’il a
trouvée chez ses élèves; aux interruptions souvent assez longues
mises par lui dans l’exécution d’une même œuvre, à son aptitude
pour traiter certains sujets, à l’inhabileté qu’il montre dans certains
autres, et l’on comprendra que ces causes d’inégalité et de diversité
soient comme autant d’embûches dressées en face des critiques
même les plus érudits et les plus consciencieux. Que ceux qui sont
sans erreur leur jettent la première pierre.
Ces méprises d’ailleurs n’ont-elles pas elles-mêmes leur utilité?
Si elles infligent des leçons cuisantes aux susceptibilités vaniteuses,
elles profitent, en somme, à l’histoire de l’art. Oportet hæreses esse;
il est bon qu’il y ait des hérésies. Les discussions et les études
sérieuses qu’elles peuvent provoquer démontrent l’utilité croissante
des expositions bornées aux œuvres d’un seul maître ou d’une seule
époque. Les comparaisons directes qu’elles permettent ont forcé-
ment un caractère de précision à la fois plus efficace et plus sûr.
On s’y décide non d’après des considérations littéraires, mais d’après
des documents formels ou des raisons techniques que suggèrent ces
rapprochements. Pour le critique digne de ce nom, il n’est pas
d’intérêt supérieur à celui de la vérité.
EMILE MICHEL